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une certaine série d’idées se reproduit fréquemment sans cause extérieure appréciable, nous devons admettre qu’il existe dans le cerveau une portion déterminée de tissu nerveux qui fonctionne sous l’action d’excitations intérieures et qui possède une haute excitabilité. Et, du moment que l’idée fixe est jugée vraie, il y a folie, pourvu, bien entendu, que le jugement porte sur les relations extérieures ou implique des jugements de cette nature. Quelqu’un qui ne peut s’empêcher de pressentir un malheur n’est pas nécessairement fou.

Comment s’expliquer la possibilité d’une foi erronée en des relations extérieures qui n’existent pas ? Par la rupture des rapports qui rattachent les idées dominantes et une partie du savoir potentiel. Quelques considérations sur le sommeil et les rêves sont de nature à motiver cette opinion.

Tout organe aspire au repos après l’action. Certains repos du cerveau se nomment sommeil. Quand nous voulons dormir, nous écartons les excitations extérieures ; mais la fatigue amène d’ordinaire le sommeil tout naturellement, en rendant les excitations inefficaces. Pourtant ce qui est vrai du système musculaire ne l’est pas du système nerveux que l’excès de travail, surtout vers l’âge de quarante ans, surexcite et ne déprime pas, soit que l’afflux du sang persiste, soit que l’excitabilité aille en grandissant. Ceux qui ont le système nerveux en mouvement ne parviennent pas à s’endormir, si ce n’est grâce à l’administration de deux ou trois grammes de chloral, substance qui ralentit et paralyse l’action des nerfs. Il vaudrait mieux sans doute avoir recours à la fatigue musculaire qui prédispose naturellement au sommeil. Le sommeil dure habituellement jusqu’au retour de l’excitabilité du cerveau, et, pendant toute cette durée, l’on ne reçoit pas d’impression de la part de l’extérieur ; il n’y a pas de savoir vif, de connaissance actuelle, et le savoir potentiel lui-même n’envoie pas de souvenir. Peu à peu, l’excitabilité reparaît, et avec elle, au début, le rêve. Des souvenirs surgissent, et les excitations du dehors, plus ou moins perçues, s’y entrelacent ; et c’est ainsi que se forme le rêve. On a vu plus haut que, si les objets de rêve sont perçus comme réels, cela provient de ce que le mouvement interne se propage jusqu’aux extrémités périphériques des nerfs sensibles. Mais pourquoi suis-je trompé ? pourquoi suis-je victime de l’illusion du rêve ? Quand j’entends la voix d’un ami, elle éveille dans mon âme une foule d’idées associées, parties intégrantes du savoir potentiel qui font que je me représente cet ami. Mais, si l’ami vient me parler vers la matinée quand je suis plongé dans un rêve, sa voix ne rappelle pas ces idées, mais d’autres, la plupart du