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indubitable que Test cette autre, 2 et 2 font 4, pour ceux qui sont dans leur bon sens. En voici la preuve.

Une nuit, je rêvais d’un café allemand où j’avais pris un verre de bière. Il s’agissait de payer 37 centimes 1/2. — Ce nombre n’est bizarre qu’en apparence : c’est la valeur en monnaie française de 30 pfennigs ou des trois dixièmes d’un marc (1 franc 25 centimes). Du moins, c’est ainsi que je l’explique. — Je m’approchai du comptoir et j’y déposai d’abord une pièce de 20 centimes, puis une de 10. La dame devant qui je mettais cet argent n’y trouva pas son compte et m’en fit l’observation. Je m’en étonnai. « Madame, lui dis-je, est-ce que 20 et la moitié de 20 ne font donc pas 37 1/2 ? » La dame n’eut pas l’air de comprendre. J’eus beau m’évertuer ; mes raisonnements n’entraient pas dans son esprit. Des garçons s’approchent et me donnent raison ; la dame s’obstine dans son erreur ; les bourgeois s’en mêlent et lui donnent tort. — Enfin, ahurie et stupéfaite, elle cesse d’insister, et je sors enfin, fort de mon droit, la conscience tranquille, mais m’extasiant de plus en plus sur cette singulière aberration d’esprit d’une négociante qui ne voit pas que 20 et la moitié de 20 font exactement 37 1/2.

La certitude scientifique est d’une autre nature : elle n’est jamais absolue. Elle est compatible avec le doute spéculatif. C’est ainsi que je puis très bien émettre le doute, parfaitement légitime au point de vue scientifique, si, dans l’instant présent, je ne rêve pas ou ne suis pas fou.

Le problème psychologique de la nature des rêves tient donc à la théorie de la certitude aussi bien qu’à la théorie de la mémoire. Envisagé sous le premier aspect, il comporte plusieurs questions distinctes :

1o  Sur quel fondement reposent la croyance en général, et spécialement la croyance en une réalité extérieure ?

2o  Pourquoi, quand on veille, ne croit-on pas à la réalité de ses rêveries, et pourquoi, quand on rêve, croit-on à la réalité de ses rêves ?

3o  Pourquoi, au réveil, accorde-t-on à ses rêves un caractère mensonger ? Quels sont les motifs de cette attribution ? Y a-t-il à cet égard un critérium absolu de certitude ?

4o  Pourquoi le fou a-t-il foi en ses aberrations ? À quelle marque reconnaissons-nous les imaginations d’un cerveau troublé et quelle en est la valeur logique ? Y a-t-il un critérium supérieur ?

J. Delbœuf.
(À suivre.)