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les muscles une sensibilité spéciale. Cette thèse ne paraît plus guère admise actuellement.

D’autres (J. Müller, Ludwig, Bain, Wundt, Bernhardt, etc.) soutiennent que la sensation musculaire est un phénomène d’innervation centrale. Pour eux, le siège ou plutôt le point de départ des sensations de mouvement ne serait pas dans les muscles eux-mêmes, mais dans les cellules nerveuses motrices de l’axe cérébro-spinal. « La sensibilité qui accompagne les mouvements musculaires, dit Bain, coïncide avec le courant centrifuge de l’énergie nerveuse et ne résulte pas, comme dans les cas de sensation pure, d’une transmission par les nerfs centripètes ou sensitifs. » Les partisans de cette théorie s’appuient sur ce fait « que nous n’avons pas seulement la sensation d’un mouvement réellement exécuté, mais même celle d’un mouvement simplement voulu, et que par conséquent la sensation de mouvement paraît liée directement à l’innervation motrice. » Bernhardt, qui a soutenu le plus récemment cette thèse, tout en reconnaissant, avec les auteurs dont il a été question en premier lieu, le rôle que jouent les articulations, les tendons, etc., considère le « sens de la force » (Kraftsinn) comme une fonction psychique, comme un fait d’innervation centrale. Pour l’établir, il a imaginé une expérience dont voici le résumé. Il détermine en quelle mesure on peut reconnaître des différences de poids à l’aide de la jambe placée d’une certaine façon. Puis, par la faradisation, il produit la contraction des muscles de la jambe : dans ce cas, où la volonté n’intervient plus, on constate qu’il est plus difficile de reconnaître la différence entre les poids successivement soulevés[1]. Toutefois, cette expérience est loin d’être concluante : elle a même soulevé beaucoup d’objections.

L’hypothèse d’une sensibilité musculaire spéciale, c’est-à-dire d’origine périphérique et non centrale, soutenue par Bell, Weber, Cl. Bernard, Brown-Séquard, etc., a reçu dans ces derniers temps un très fort appui, grâce aux recherches de Carl Sachs. Ces recherches, confirmées par celles de quelques autres physiologistes, établissent que les filets nerveux qui se distribuent dans les muscles ne sont pas tous moteurs ; mais que quelques-uns sont centripètes ou sensitifs. Pour le démontrer, Sachs isole complètement un muscle de telle façon qu’il ne soit plus en rapport avec le reste du corps que par le moyen du nerf qui l’anime, et il constate que, dans le muscle ainsi isolé, on peut produire des réflexes. De plus, pour bien faire

  1. Pour les détails, voir le mémoire de Bernhardt : Zur Lehre von Muskelsinn, dans Archiv für Psychiatrie und Nervenkrankheiten, 1872.