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caché dans les particulières maisons de ceste grande ville, pour dresser une ambuscade aux flambeaux de la nuit et en dissiper l’éclat par surprise. »


VII


Il ne faudrait pas juger l’arrêt du 9 février 1619 d’après les idées d’à présent. Quoique prononcé par la Grand’Chambre et la Tournelle assemblées, il n’avait rien en soi qui pût le rendre célèbre. Le blasphème était alors un crime de droit commun prévu et puni par les ordonnances. Donc, si le condamné était resté pour le public ce qu’il était dans l’opinion de ses juges, la renommée de son supplice n’aurait guère dépassé l’enceinte de Toulouse. Jamais son incognito n’aurait été découvert. On ne parlerait pas plus aujourd’hui de Pompeïo Usiglio qu’on ne parle de Gilles Frémond, qui périt pourtant comme lui, pour la même cause que lui, sur la place de Grève, le 15 janvier 1611, en vertu d’un arrêt presque semblable[1].

Mais cette qualité inattendue de philosophe qu’il s’était hautement donnée, novum inauditumque monstrum sa contenance stoïque, l’allusion qu’il avait faite à ses écrits, étaient autant de causes de surprise pour les uns, d’inquiétude pour les autres, et pour quelques-uns de sympathie. Elles fomentaient encore la curiosité très vive qu’avait excitée son origine étrangère, la distinction de sa personne, son esprit si brillant, son savoir presque universel, l’amitié dont l’avait honoré la jeune noblesse parlementaire, et enfin sa persistance étrange à dissimuler son passé. — Les relations particulières envoyées de Toulouse à Paris appelèrent l’attention des « beaux esprits » et des autres sur ce personnage mystérieux. Les jeunes seigneurs qui avaient assisté à son supplice, et rendu un si audacieux hommage à son grand cœur et à sa doctrine, en parlèrent aussi très probablement lorsqu’ils revinrent à la cour. Tout ce qu’il avait dit, tout ce qu’il avait fait à son heure dernière, fut répété, célébré dans ces lieux interdits au vulgaire, cabarets d’honneur, académies de gentilshommes, loges de l’hôtel de Bourgogne, où l’on allait pour s’entretenir librement de religion et de philosophie[2]. Or ces lieux-là, deux ans à peine s’étaient écoulés depuis que Vanini avait cessé d’y paraître. Les amis qu’il y avait laissés ne pouvaient l’avoir oublié. À ses opinions, à ses discours, au titre qu’il avait pris et qu’on voit en-

  1. Gabriel Ceyron, Style du Parlement de Toulouse, édition citée, p. 573.
  2. Garasse, Doctrine curieuse, p. 3.