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des doctrines, c’est surtout dans la partie réservée à la critique qu’il a fait preuve des plus rares qualités philosophiques. Non seulement il entre profondément dans l’esprit de chaque système, mais encore il y découvre et il en fait pour ainsi dire jaillir des conséquences inattendues. Sans cesser de demeurer conforme à leur plan général et primitif, la lumière qu’il y répand leur communique une couleur nouvelle et, les élargissant pour notre œil, y ajoute de nouvelles perspectives. Avec une admirable souplesse, son esprit se ploie à tous les principes et les suit dans leurs transformations les plus lointaines ; il semble lui-même les provoquer à se développer, à se modifier sans se contredire, pour échapper aux objections dont il les menace, non moins habile à leur trouver des défauts qu’à leur prêter des ressources. Le secret de cette fécondité est peut-être dans la chaleur intérieure que donne l’ivresse de la pensée. Une sorte d’enthousiasme philosophique anime cette jeune et hardie intelligence, où abondent et s’improvisent sans effort les idées ingénieuses ou profondes, et fait pour elle de la critique, tâche ordinairement ingrate et maussade, une véritable création dont les systèmes qu’elle prend pour objet ne sont que l’occasion et la matière.

Une courte introduction précède l’examen et l’appréciation de la morale anglaise sous toutes ses formes. Tout en se défendant de réfuter une doctrine qui lui paraît sur plusieurs points parfaitement irréfutable, l’auteur se propose seulement d’en montrer les limites nécessaires au delà desquelles s’étend, quoi qu’elle fasse, cet inconnaissable qui échappe à la science positive, mais dont il faut bien que la pratique tienne quelque compte. Il laisse ainsi pressentir la conclusion qui ressort de toute sa thèse et qui, croyons-nous, est légèrement sceptique : c’est que le problème essentiel, le problème moral subsistera toujours. N’est-ce pas dire que la morale est par essence destinée à rester toujours un problème ?

La critique se divise en quatre livres, qui traitent successivement de la méthode morale, de la fin morale, de l’obligation morale et de la sanction morale.

Deux méthodes se disputent la morale, l’induction et l’intuition, qui correspondent à deux conceptions contraires de l’ensemble des choses, le naturalisme et l’idéalisme. Cependant, fidèle à la méthode de conciliation, M. Guyau s’efforce de diminuer l’intervalle qui les sépare. Il montre que la morale intuitive a commencé par être un catalogue d’intuitions immédiates, avant de devenir un vaste système de déductions, et que la morale inductive, d’abord exclusivement expérimentale avec Bentham, a fini par accorder, avec Stuart Mill et Spencer, une place de plus en plus large au raisonnement déductif. Une formule résume l’état actuel des deux morales : la morale à posteriori est une morale inductive déductive ; la morale à priori est une morale intuitive déductive.

Le débat se concentre donc sur le premier principe, qui, selon l’une,