Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/433

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
427
ANALYSESsophie germain. — Œuvres philosophiques.

Mais ces généralités sur la parenté des sciences et des arts ne sont pas la partie la plus importante et la plus durable de l’œuvre de Sophie Germain. Présentées avec la largeur un peu vague d’une synthèse universelle, elles passent bientôt aux arrière-plans du livre, pour faire place à des considérations plus profondes sur la marche historique, le caractère et la nature de la science.

Sur le premier de ces points, les vues de Sophie Germain offrent de saisissantes analogies avec celles d’Auguste Comte, S’est-elle inspirée de la philosophie positive ? On ne saurait le décider. Le premier volume du Cours de philosophie positive parut en 1830, un an seulement avant la mort de Sophie Germain ; mais le plan général en avait été livré au public dès 1826. Toutefois on ignore à quelle date furent écrites les Considérations sur l’état des sciences et des lettres. Il y a peut-être seulement dans les analogies que nous allons signaler une de ces coïncidences qu’expliqueraient une inspiration plus éloignée, celle de Condorcet et de Turgot, par exemple, et la communauté des mêmes études mathématiques. — Sophie Germain distingue, comme Auguste Comte, dans l’évolution de la science, plusieurs stades successifs, et elle les caractérise en des termes qui plus d’une fois rappellent les pages si connues de la première leçon du Cours de philosophie positive. D’après elle, l’homme a commencé par étendre son existence sur tout ce qui l’entourait ; il a cherché partout sa propre image : il a personnifié les êtres inanimés ; il a doué d’un corps les êtres intellectuels, enfants de son imagination. — N’est-ce pas, au mot près, l’état théologique d’A. Comte ? — Puis, quand l’observation eut décelé dans la nature l’existence de lois immuables, incompatibles avec une multitude de volontés discordantes, l’homme dit alors : « Un seul être a voulu l’univers^ et il le gouverne ; ses volontés sont immuables. » N’est-ce pas cette phase de l’esprit théologique, où, d’après A. Comte, les volontés dispersées se concentrent et s’ordonnent sous la suprématie d’une divinité unique et centrale ? — Mais, comme la volonté n’est pas dénuée d’arbitraire, l’esprit philosophique en vint bientôt à chercher un plus ferme appui : il chercha partout les lois de la nécessité ; il conçut une dépendance mutuelle entre tous les faits ; il les coordonna suivant ses convenances intellectuelles, comblant les lacunes qu’ils offraient à l’aide de conceptions dont l’objet était d’introduire dans les phénomènes l’unité, l’ordre et la proportion. — N’est-ce pas l’état métaphysique d’A, Comte ? — Enfin, grâce aux progrès incessants de l’observation, l’esprit humain abandonne les métaphysiques ténébreuses ; à la poursuite stérile du pourquoi il substitue la recherche féconde du comment. Le jugement, longtemps précipité en avant de l’expérience, par l’imagination et le sentiment de l’unité de l’être, revient à l’expérience ; les seules conceptions qu’il applique désormais aux faits sont les conceptions mathématiques ; après avoir observé les liaisons des phénomènes, il en mesure les rapports et inaugure ainsi cette façon positive de penser, dont Sophie Germain fait dater l’avènement du temps de Galilée, de Descartes et de Newton.