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liard. — théorie de la science et de l’induction

passer du connu à l’inconnu. En ce sens, relier des faits épars par une conception, c’est induire.

Mais en même temps l’induction dépasse l’expérience en un autre sens. Les faits observés sont singuliers ; les propositions induites sont générales. Aller du connu à l’inconnu, dans les sciences de la nature, c’est aller des phénomènes qui ne sont plus à ceux qui ne sont pas encore ; c’est anticiper sur l’avenir et croire que les faits se reproduiront dans l’ordre où ils se sont déjà produits. La découverte de Képler eût été stérile, si les planètes eussent cessé de décrire des ellipses autour du soleil. Whewell, en définissant l’induction « le procédé par lequel nous unissons les faits au moyen de conceptions exactes et appropriées », rend-il compte de l’anticipation inductive ? À vrai dire, il ne s’est guère préoccupé de ce problème ; il lui suffit que les conceptions appliquées aux faits soient générales, venant de l’esprit, pour être assuré que, une fois les conceptions appropriées aux faits découvertes, l’ordre du monde est garanti. Mais cette façon d’entendre les choses n’est pas sans soulever de graves difficultés, et, pour qu’elle pût donner l’assurance que Whewell croyait en tirer, il faudrait la pousser à des conséquences qu’il eût peut-être désavouées. La science a affaire aux phénomènes multiples, contingents et variables ; elle les ramène, si l’on veut, à des types généraux, de coexistence et de succession relativement nécessaires et invariables. Mais qui nous assure que l’ordre de la nature ne sera pas interverti ou bouleversé ? que demain les faits ne se rangeront pas sous d’autres idées, et que nos idées de la veille ne seront pas demain les témoins d’un ordre qui n’est plus ? Est-ce la généralité même de nos conceptions ? Whewell le croirait volontiers. Mais ce qui est en question, c’est précisément la valeur de cette généralité même. La généralité dans les rapports des choses ne peut être que la conséquence de la permanence de ces mêmes rapports ; la généralité des idées ne saurait être une garantie sérieuse de la fixité dans les choses qu’à la condition de voir dans les phénomènes, comme le voulait Platon, des images mobiles et éphémères de types éternels, seule vérité et seule réalité. En d’autres termes, si l’office de la science consiste à fier des faits épars à l’aide de conceptions générales, la généralité de ces conceptions a besoin d’une garantie ; autrement, elle est une anticipation suspecte ; elle laisse l’esprit en de perpétuelles alarmes sur sa propre valeur ; elle est une fiction et un leurre. Whewell n’a donc vu et résolu qu’à demi le problème de l’induction.

Quel est maintenant le champ de l’induction ? A. Comte, Stuart Mill après lui, avec eux la plupart des savants contemporains le limitent rigoureusement aux lois des phénomènes, c’est-à-dire aux rapports