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delbœuf. — le sommeil et les rêves

uns sortent radieux, les autres affaissés, décontenancés, se retrouvant au terre à terre de tous les jours[1]. »

Qui de nous n’a été, à ses heures, ce dormeur éveillé si bien décrit par l’illustre romancier ? Quelle est la littérature qui ne s’est emparée de ce type que l’on retrouve au théâtre et jusque dans les fables ? N’est-ce pas de l’Inde que nous vient, par une suite de transformations successives, cette délicieuse Perrette qui, dans un transport de joie, renverse le pot au lait où elle entrevoyait toute une fortune ?

Tout le monde connaît par cœur les commentaires ingénieux du poète :


Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?

. . . . . . . . . . . . . . .


Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;
Je suis Gros-Jean comme devant.

Il faut donc un accident pour faire rentrer le rêveur en lui-même ; ici, c’est le saut malencontreux de la laitière, là le cri poussé par M. Joyeuse. Mais comment cet accident agit-il ? Evidemment par contraste. Je ne cherche pas pour le moment à expliquer le fait, je le constate. Entre l’impression que M. Joyeuse reçut des discours qu’il n’entendait que dans son imagination et celle que lui causèrent les paroles prononcées effectivement par lui-même, la, différence était si marquée qu’il ne put s’empêcher de les rapporter à deux causes opposées, et il conclut que la cause était d’un côté fictive, et de l’autre côté réelle. De même, la gentille Perrette, qui prenait tant d’intérêt aux gambades de la vache et de son veau, dut bien quitter d’un œil marri tous ces biens imaginaires, quand l’inexorable réalité offrit brutalement à ses regards son lait répandu. L’illusion n’était plus possible. Que manque-t-il cependant aux rêveries pour être taxées de rêves ? Bien peu de chose : il suffit que le rêveur soit endormi. Si M. Joyeuse, au lieu de se rendre à son bureau, eût commencé son roman dans son fauteuil en faisant sa sieste et qu’il se fût insensiblement laissé aller au sommeil, le phénomène psychologique n’eût pas été différent.

Le rêve est donc caractérisé par une circonstance toute physiologique ; c’est qu’il se produit chez l’être endormi. De cette façon, nous reprenons pour notre compte la définition d’Aristote : « L’image produite par le mouvement des impressions sensibles quand on dort en tant qu’on dort, voilà le songe[2]. »

  1. Le Nabab, Ve chap. La famille Joyeuse.
  2. Des songes, chap. III, à la fin.