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guyau. — de l’origine des religions

elles n’ont pas de fondement objectif : on ne peut pas trouver dans la nature extérieure de raison qui les justifie ; et, d’autre part, elles ne sont pas non plus le produit de quelque faculté ou virtualité intérieure de l’infini : car nulle part dans la formation des religions nous n’avons pu constater l’action d’une telle faculté, et, si elle existait, elle agirait plutôt comme dissolvant. L’explication des religions apparaît ainsi comme tout le contraire de leur justification : faire leur histoire, c’est faire leur critique. Quand on veut approcher du point d’appui qu’elles semblaient avoir dans la réalité, on voit ce point reculer peu à peu, puis disparaître, comme lorsqu’on approche du lieu où paraissait se poser l’arc-en-ciel ; on croyait trouver dans la religion un lien puissant capable de rattacher le ciel à la terre, un gage d’alliance et d’espérance : ce n’est qu’un jeu de lumière fugitif, un effet d’optique que la science corrige en l’expliquant. Les religions sont en dehors et à côté de la raison. La superstition, au sens strict du mot, est leur véritable origine, et ce n’est pas sans raison que Lucrèce identifiait ces. deux choses : relligio, superstitio. Assister à la naissance d’une religion, c’est simplement voir comment une erreur peut entrer dans l’esprit humain, se souder à d’autres erreurs ou à des vérités incomplètes, faire corps avec elles, puis se subordonner peu à peu toutes les autres vérités contenues dans l’âme humaine, jusqu’à ce qu’enfin on en vienne à rechercher son origine et qu’on trouve simplement une induction trop rapide ou incomplète, une illusion des sens, une tromperie de la nature, un mirage, un rien.

S’il en est ainsi, que devient ce respect profond des religions, professé par les Max Müller, les Matthew Arnold, les Renan, les Spencer eux-mêmes ? La foi, disait profondément Héraclite, est une « maladie sacrée », ἱερὰ νόσος ; pour nous autres modernes, il n’est plus de maladie sacrée, il n’en est plus dont on ne veuille se délivrer et guérir. Guérir de la religion, ou tout au moins des religions ! Combien nous voici loin des conclusions de M. Max Müller, qui verrait presque un exemple à suivre dans les castes établies par les Hindous entre les intelligences comme entre les classes, dans les périodes régulières ou açramas par lesquels ils obligeaient l’esprit de passer, dans le luxe de religions dont ils surchargeaient l’esprit des peuples ! Pour eux, l’erreur traditionnelle devenait sacrée et vénérable ; elle était digne de primer la vérité, du moins chez les intelligences non privilégiées ; il fallait d’abord tromper, afin d’initier plus tard ; il fallait mettre un bandeau sur les yeux afin de pouvoir le faire tomber. L’esprit moderne a des tendances bien contraires ; il aime à faire profiter les générations qui viennent de toutes les vérités acquises