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perez. — l’Éducation du sens esthétique

aussi qu’on lui dit, en les lui mettant, qu’ils sont jolis, que ce mot auquel il attache une idée d’agréable et de bon suffit pour le réjouir, je songe aussi que tout changement relatif à sa personne le rend heureux, surtout si la joie qu’il éprouve est partagée par les autres ; je me dis encore qu’il se trouve si bien dans sa robe et dans ses souliers de tous les jours, et même sans robe et sans souliers ! Je ne puis dès lors attribuer sa bonne humeur du moment à un sentiment, même obscur, de la beauté de sa parure. La couleur lui plait comme celle d’une rose, d’une feuille de papier teint ; le froufrou de l’étoffe fraîchement lissée caresse agréablement son ouïe ; le toc-toc des petits souliers neufs l’amuse ; mais voilà tout peut-être. — Un autre enfant, âgé de dix mois, et sa cousine âgée de treize mois, distinguent fort bien, entre cinq ou six espèces d’aliments, le gâteau ou la friandise préférés, et s’ils y portent les mains, c’est à bon escient ; mais je leur présente tout à la fois plusieurs jouets et plusieurs poupées d’inégale beauté : quand ils choisissent, la cause qui détermine leur choix, n’est rien moins qu’une raison esthétique : c’est la grosseur, l’éclat, la nouveauté, l’étrangeté, qui les attirent et retiennent un moment.

Pour ce qui est de la beauté animale, et de la plus belle à notre jugement, celle de la figure humaine, je crois que la sympathie d’origine et de ressemblance, jointe aux expériences personnelles, prédomine dans le plaisir et l’étonnement qu’un enfant de dix à quinze mois éprouve à les regarder. Jai beaucoup étudié les tout jeunes enfants en présence des animaux, au Jardin des Plantes. Leur attention est grande, et leur plaisir aussi, à contempler les animaux, petits ou grands, beaux ou laids, et surtout ceux qui ressemblent à ceux qu’ils connaissent ; je cherchais dans leurs yeux et sur leurs visages, dans leurs gestes et leurs attitudes, quelque distinction faite, ne serait-ce qu’en vertu des caractères transmis par l’hérédité, entre les différents spécimens de l’espèce zoologique, et j’avoue qu’à mon grand étonnement, je n’ai saisi rien de tel. J’ai été presque choqué de voir ces enfants s’ébaudir aux cabrioles du singe comme aux gambades de l’ours et aux larges poses de l’éléphant, admirer des mêmes yeux le rutilant cacatoès, le hideux vautour gris, et la bizarre autruche, et regarder avec un plaisir non mêlé d’horreur les boas effrayants et les lézards squameux. Cela n’indique-t-il pas que l’idée du beau, et l’idée corrélative du laid, pour se développer, réclament des expériences et des comparaisons très nombreuses ? La notion tout intellectuelle de proportions et de convenance met plus de temps à se faire que la distinction presque entièrement sensible d’expression. L’attitude de ces petits enfants en présence de