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perez. — l’Éducation du sens esthétique

combien le sentiment des harmonies de la nature, de l’unité des proportions, de l’unité et de la diversité dans les formes et les couleurs, du mouvement et de l’expression même, est facilement modifié, sinon éliminé, par un idéal tout de contingence, par les influences si variables de l’âge, du sexe, de l’éducation, du milieu, de la santé, de l’humeur, des circonstances fortuites. C’est donc moins l’expression du réel idéalisé, que l’expression actuelle et souvent imaginaire, de ses sentiments, qui dirigent, chez l’adulte, et, à plus forte raison chez le petit enfant, les applications du concept esthétique, les appréciations relatives à l’idée du beau.

Quelques exemples montreront combien son idéal, en ce qu’il a de rationnel, et de quasi-constant, est confiné dans des limites étroites. Les images d’Epinal le rendront fou de joie, et les toiles d’un maître ne lui diront rien ; les belles statues d’un parc le laisseront indifférent, et il suivra des yeux, des gestes, le chien qui passe, l’oiseau qui vole, le bateau qui fuit. Il voit tout en gros, et n’admire souvent, dans les grands objets de la nature, que le grand ou l’extraordinaire. Devant les tableaux du Louvre, une petite fille de vingt mois glissait des mains pour échapper aux obsessions de son père qui voulait la forcer à regarder les personnages et les animaux représentés dans ces tableaux : son bonheur était de courir entre les jambes des visiteurs, toute seule et dans tous les sens. — Un autre enfant, âgé de trois ans, après avoir regardé, moitié par imitation, moitié par obéissance, une toile italienne aux plus fraîches couleurs, exprima ainsi son admiration : « C’est bien joli, papa ! Il y a beaucoup d’or, beaucoup de rouge, et beaucoup de bleu aussi ; et puis, là-bas, il y a un papa, et une maman, et pas de bébé, et il y a un arbre papa, et une maman canard ».

Voici, en pleine Touraine, un site et un horizon à souhait pour le plaisir des yeux. Un enfant de vingt-deux mois passe un quart d’heure à ne s’apercevoir que de lui-même et de ses parents : ceux-ci amènent ensuite adroitement la conversation sur le beau paysage ; l’enfant répète machinalement quelques lambeaux de leur entretien ; enfin les parents, s’étant assis sur un petit tertre, invitent l’enfant à regarder ce qu’ils admirent. Son tour d’admirer est bientôt venu : « Oh ! oui, c’est bien beau, bien beau ! Il y a beaucoup de grands arbres, beaucoup plus que chez nous, et que chez grand’maman aussi, oh ! oui ! » — Devant une cascade écumante et irisée, un autre enfant du même âge s’écrie : « Pourquoi, dis, maman, la cascade du moulin de Tarbes n’est pas grande comme ça ? » — Un autre enfant d’environ trois ans admirait tous les jours, à l’exemple de sa mère, ce beau Pic de Ger, qui domine de loin les montagnes enceignant