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sons, qu’il n’en distinguait un d’un autre que lorsqu’ils étaient séparés par l’intervalle d’au moins une gamme, quand l’un était l’octave de l’autre. Cependant son ouïe était très fine. Le rythme était la seule chose qu’il saisît dans les airs, et si, en conservant le même rythme, on changeait arbitrairement les notes, il croyait entendre le même air. Je connais aussi beaucoup de personnes qui éprouvent une grande difficulté à produire le son juste à la hauteur désirée, et qui se sont figurées qu’elles n’ont pas d’oreille, parce qu’on le leur a trop dit : mais, tous renseignements pris, j’ai pu me convaincre que l’éducation de leur organe avait été complètement négligée ou faussée dès l’enfance. Dans une famille de ma connaissance, les quatre enfants ont tous la voix juste, comme leur mère qui les a nourris, et quoique leur père ait la voix fausse. Dans » une autre famille, composée de cinq enfants, et dont la mère seule a la voix fausse, les trois enfants qu’elle a nourris ont la voix fausse, et les deux autres l’ont juste. Il faut donc compter, plus qu’on n’a l’habitude de le faire, sur les premières impressions auditives et sur les premiers exercices vocaux, pour développer chez tout enfant l’instinct musical, dans ce qu’il a d’élémentaire et d’universellement humain.

C’est une erreur grave, dit un savant plein de compétence en cette matière, d’accepter comme irrémédiable le fait « que certaines personnes n’ont pas d’oreille ». Ce n’est jamais l’oreille, si l’on n’est pas sourd, c’est l’exercice qui manque. Chez les enfants, cet exercice n’est jamais long. Chez les adultes, les organes sont moins souples, mais néanmoins on arrive au but. C’est ainsi qu’il est plus difficile d’apprendre à lire à l’âge adulte que dans les premières années de l’enfance ; mais, de même qu’on réussit à apprendre à lire à tout âge, on peut réussir également à apprendre à chanter ; dans ce cas, on peut se dire que, quand on est arrivé à bien prendre l’unisson, on a fait la moitié du chemin. Ceux qui prétendent « n’avoir pas d’oreille » sont simplement ceux qui n’ont pas fait cette première moitié du chemin, ceux qui n’ont pas eu cette première éducation, presque toujours instinctive, et pour laquelle il n’y a pas d’enseignement technique. Quand vous commencez à faire chanter des enfants, vous en entendez toujours dans la masse, qui timidement suivent les autres, mais en chantant d’autres sons, essayant de monter et de descendre, arrivant souvent à chanter à peu près l’air, mais une quarte ou une quinte plus bas. Laissez les faire, cela ne durera pas, et, au bout de quelque temps, avec de la bonne volonté et de l’attention, alors surtout qu’on prend les enfants en particulier et qu’on les encourage, au lieu de s’en moquer, ils se corrigent peu à peu, et on est tout surpris, un beau jour, de voir que leur voix ne jure plus