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perez. — l’Éducation du sens esthétique

qui ne sont pas même bonnes pour elles. Il court par le monde quantité de ces billevesées, prétendues poétiques, mais aussi peu faites pour les oreilles d’un enfant que les stances Au cher enfantelet attribuées à Clotilde de Surville. Une jeune mère me contait qu’elle chantait quelquefois à ses deux enfants les deux romances dont les refrains sont : L’oiseau bleu s’est endormi, et : Rêve, parfum ou frais murmure, petit oiseau, qui donc es-tu ? Elle les chantait d’ailleurs d’une voix quelque peu triste. Chaque fois qu’elle en arrivait à l’un des refrains, l’aîné, âgé de quatre ans, prenait une mine désolée et poussait de petits sanglots, avec des larmes dans les yeux. Le plus jeune, âgé de deux ans, imita bientôt son frère. Et la mère de faire cette réflexion : « Mes enfants sont très sensibles, » Trop, lui dis-je, et par votre faute. Vous développez en eux une sensiblerie maladive, funeste à tous les points de vue. Elle me pria de lui dire ce qu’elle pourrait utilement leur chanter. Je lui déclarai, en toute conscience, qu’à ces énervantes drôleries je préférais encore ces deux ridicules, mais saines joyeusetés : J’ai du bon tabac dans ma tabatière, et : La soupe aux choux se fait dans la marmite. « Et sans doute aussi Au clair de la lune ? » répliqua-t-elle un peu désappointée. Je répondis que cet air même n’était pas assez gai. J’ajoutai que d’ailleurs, à mon avis, trop chanter, comme trop parler nuit, et que ni l’un ni l’autre n’est favorable à la santé, à la gaieté, au développement esthétique, intellectuel et moral de l’enfant. L’enfant doit garder, aussi souvent que possible, le cerveau frais et dispos pour les impressions extérieures, et tout ce qui l’excite le fatigue, même la musique joyeuse.


L’instinct des jeux et l’instinct dramatique. — La joie et le plaisir déterminent dans le sensorium des excitations très vives, et par contrecoup une production excessive de force nerveuse, une activité exagérée de la circulation, qui se manifestent au dehors par des mouvements sans but et des sons involontairement émis. Chez tous les animaux, ces signes primitivement expressifs de la joie en deviennent bientôt des signes évocatifs. La plupart de ces signes paraissent, d’ailleurs, instinctivement empruntés aux mouvements utiles des différentes espèces animales : tels les évolutions circulaires des insectes et des oiseaux, les jappements et les sauts du chien, le piétinement et la course emportée du cheval, les battements d’ailes et les coups de bec des poules, et surtout les joyeux exercices du chat, qui tous ressemblent à des exercices de chasse ou de fuite. Ainsi tous les animaux mêlent, à l’instinct du jeu, celui de prendre volontairement les poses, de pousser les cris, de chercher les cachettes ou