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richet. — de l’influence des mouvements

spectateur. Supposons au contraire le même individu dans une solitude absolument obscure et silencieuse ; si l’une des innombrables excitations qui avaient passé inaperçues dans la salle de spectacle, au milieu de la lumière, du bruit et de la foule, vient à frapper ses sens, elle provoquera une idée, une sensation puissante, tandis que, dans la salle de théâtre, cette même excitation, disparaissant au milieu des autres, aurait passé inaperçue.

Lorsqu’on est à l’état de veille, tous les sens sont également éveillés ; la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher apportent à chaque instant des sensations variées et nombreuses. On est comme dans un théâtre bruyant et éclairé. Au contraire, les sens du somnambule sont assoupis. Peu de sensations arrivent à vaincre son engourdissement. Aussi celle qui a pu pénétrer dans l’esprit devient souveraine, excite des émotions fortes et provoque une série d’idées dérivant de cette sensation toute-puissante. En un mot, la sensation est forte parce qu’elle est unique.

Ainsi ce qui caractérise le somnambule, au moins lorsqu’on le laisse en repos, c’est qu’il n’est pas en rapport avec le monde extérieur. Il semble même que le monde intérieur n’existe pas pour lui, et que les seuls sentiments qu’il puisse éprouver sont ceux qui lui ont été inspirés, suggérés par une excitation venue du dehors.

Non seulement cette excitation fait vibrer toute son intelligence mais encore la sensation forte ainsi provoquée est aussitôt traduite par des mouvements extérieurs. L’attitude est si expressive, la physionomie si naturelle que tous ceux qui ont eu l’occasion, je dirais presque le plaisir, d’assister à une de ces scènes de mimique somnambulique, en ont gardé profondément le souvenir : nul peintre, nul sculpteur n’ont pu réaliser avec autant de vérité les divers sentiments de l’âme, colère, extase, amour, admiration, menace, mépris, dégoût, frayeur, que ces pauvres filles hystériques, lorsqu’on provoque chez elles pendant le sommeil magnétique ces mêmes sentiments. Un jour, un acteur justement célèbre, assistant à ces scènes de suggestion et de mimique, me disait que c’était la meilleure leçon d’expression qu’il eût jamais prise, et qu’il lui serait probablement impossible d’atteindre une telle perfection.

En effet, on conçoit sans peine que, lorsqu’un individu est envahi tout entier par une seule sensation, cette sensation s’exprime au dehors dans toute sa plénitude par des gestes appropriés. Il est difficile de trouver un individu qui, à l’état normal, soit envahi aussi complètement par une passion aussi simple. S’il est en colère par exemple, à sa colère se mêleront sans doute le mépris ou la frayeur ; ce ne sera pas une colère schématique, théorique, aussi dépourvue