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pré-conditions indispensables a l’existence même de ces conditions.

Secouons le joug de ces fictions verbales, et revenons à l’expérience. Parmi ses manifestations, l’organisme a d’une part les affections sensibles ou changements provoqués par le contact des stimulants externes et assignables aux organes visibles des sens ; d’autre part, les états de conscience proprement dits, ou changements du sensorium provoqués par des causes internes et non assignables à des organes visibles. Le seul agent connu étant l’organisme, rien ne nous autorise à penser que la première classe de faits est due à son activité, mais la seconde à l’activité d’un autre agent. La conclusion la plus simple, c’est donc que « l’organisme peut sentir et penser ». Il n’y a pas plus lieu d’admettre un principe psychique en dehors des conditions d’organisation qu’un principe moteur en dehors des conditions du mouvement.

La conception nouvelle des rapports de la physiologie et de la psychologie est là tout entière. L’une et l’autre font la théorie de l’organisme, mais aux deux points de vue nécessairement imposés par l’antithèse du subjectif et de l’objectif. État organique et étal mental, simples expressions antithétiques d’un seul et même fait, ce qui est sentiment pour la conscience étant mouvement pour les sens. « Les diviser en deux faits différents, et chercher ensuite le lien qui les unit est une entreprise illusoire. Cette illusion est entretenue par la conception populaire, mais erronée de la relation de cause et d’effet ; on imagine qu’un processus ou événement, nommé cause, appelle à l’existence un autre processus ou événement, nommé effet. De là cette charade métaphysique : comment un processus peut-il bien en créer un autre ?… La relation entre l’effet et la cause est simplement la relation entre deux manières d’envisager un certain événement ; tel est aussi le rapport de l’état organique et de l’état mental, quand le premier est regardé comme la cause et le second comme l’effet. L’état organique ne précède réellement pas l’autre et ne l’appelle pas à l’existence ; mais il est l’expression objective, tandis que l’état mental est l’expression subjective du même fait. » (§ 14.)

Il y a une distance infinie de cette manière de voir à celle du matérialisme. « Les matérialistes sont tombés dans l’erreur inévitable à l’analyse de prendre la partie pour le tout, et de ne point distinguer l’aspect objectif de l’aspect subjectif des phénomènes. Mais ils ont eu raison d’insister, comme nous-même, sur ce fait que les phénomènes mentaux sont des fonctions de l’organisme ; et nous n’avons pas plus à expliquer pourquoi il en est ainsi qu’à dire pourquoi les corps gravitent. » La faute consiste à ne regarder que le côté physique des choses et à disséquer le cerveau pour comprendre la pensée. La science positive constate les rapports de la pensée et du cerveau, mais l’aspect objectif n’explique nullement l’autre ; il faut prendre les deux en synthèse pour saisir la réalité telle qu’elle est. En un mot, Lewes n’est et ne veut être ni matérialiste ni spiritualiste ; il entend rester positiviste même en psychologie (§ 54).