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ANALYSESlewes. — The study of psychology.

nent des nécessités de la pensée pour l’individu, juste comme les chemins de fer une fois établis deviennent les modes nécessaires de transport. » C’est encore l’histoire qui nous fera connaître les lois de formation de nos facultés conscientes. « Le cerveau d’un Anglais cultivé de notre temps, comparé avec le cerveau d’un Grec du siècle de Périclès, ne présenterait pas de sensibles différences ; et pourtant les différences morales et intellectuelles seraient nombreuses et vastes… C’est que l’Anglais a été nourri des productions de plusieurs siècles : ses sentiments et ses pensées ont pris forme dans des conditions inconnues du Grec, si bien que ce qui eût fait les délices de l’un serait une cause d’angoisse pour l’autre… Une motion tendant à envoyer de l’argent, des vivres, des vêtements et des secours médicaux à des bandes dispersées de Crétois blessés, eût fait retentir l’agora d’éclats de rire ironiques. » (§ 124 ; § 115). Bref cette psychogénie historique et sociologique est à la psychologie générale ce que l’embryogénie est à la physiologie.

VI. Les résultats. — Dans un avant-dernier chapitre, Lewes critique la doctrine kantienne des « formes mentales » antérieures à l’expérience. Il est certain que tous les phénomènes, ceux de l’esprit en particulier, ont leurs conditions ; ce n’est même là qu’un truisme ; mais ces conditions sont réellement inséparables de leurs résultats, loin de leur être antérieures autrement que du point de vue logique et abstrait. La psychologie peut bien postuler des lois à priori de la pensée, des formes de l’esprit ; mais que dirait-on d’un physicien qui postulerait des lois à priori du mouvement ou de la nature physique ? On dirait qu’il a simplement extrait de conditions infiniment variables certaines conditions constantes, pour leur assigner une expression mathématique. C’est ce que font sans le savoir les défenseurs de la doctrine de Kant. La logique de la connaissance ne fait que formuler en termes abstraits notre expérience intellectuelle. Cependant, dit Lewes, si « toutes nos connaissances naissent dans les limites de l’expérience, toutes n’en procèdent pas directement ; » il y a des conditions et des préconditions à la fois physiologiques et sociologiques.

Une dernière considération. L’analyse sépare des facteurs qui dans la réalité ne sont jamais isolés. Après avoir examiné à part les éléments du processus physiologique et du processus psychologique, il faut donc, pour bien comprendre leur manière d’exister, les recombiner ensemble. De cette façon, on évitera l’erreur grossière du personnage dont parle Hiéroclès, erreur souvent commise par nos physiologistes, et qui consiste à prendre la brique pour échantillon de la maison (§§ 132-140).

Conclusion. — On a reconnu dans ce nouveau livre de Lewes, qui commence la IIIe série des Problems of life and Mind, un plaidoyer sincère, approfondi, en faveur d’une psychologie scientifique et biologique. Il n’est guère douteux que la révolution prédite de divers côtés, et déjà commencée, soit appelée à devenir bientôt un fait incontestable. Les études morales suivront la direction des sciences naturelles, leurs aînées ; la méthode mathématique, la méthode physiologique et la mé-