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fouillée.Influence de l’idée de liberté

idée est un commencement de sensation pour l’objet conçu ; désir et idée sont des forces. Dès lors, l’idée et le désir de la liberté, qui sont continus et toujours présents en nous alors même qu’ils y sommeillent, constituent une des forces essentielles de l’évolution morale. Introduisez cette force au sein du déterminisme, et, en vertu du déterminisme même, elle viendra à en modifier la direction, à le transformer, à le perfectionner en vue d’un idéal supérieur.

M. Benamosegh est donc d’accord avec nous quand il dit que l’idée de liberté peut être elle-même un de nos motifs d’action, et que « plus on insiste sur la puissance de ce motif, plus on montre l’efficace de l’idée. »

Mais suffit-il de poser l’idée et le désir de la liberté pour conclure immédiatement l’objectivité de la liberté même et la suppression du déterminisme ? C’est ce que semble faire M. Benamosegh. Quand nous prenons la liberté pour motif, « il est évident dit-il, que le motif se confond avec la liberté même, et les deux systèmes, le déterminisme et la liberté, n’en font plus qu’un seul. »

C’est aller beaucoup trop vite. Où M. Benamosegh se hâte de voir une unité immédiate des deux systèmes, nous avons, pour notre part, essayé de faire voir une convergence, tendant à une unité finale. Cette unité est notre idéal, mais nous ne pouvons en affirmer sans autre preuve la réalité actuelle. Au lieu d’une liberté toute faite et toute donnée, comme celle qu’admettait l’ancienne métaphysique, l’idée de liberté produit une évolution vers la liberté au sein du déterminisme même. Cette évolution a ses lois, ses lois scientifiques et intelligibles, parce qu’elle est l’évolution non seulement d’une puissance, mais d’une puissance intelligente. Si l’idée de liberté se réalise elle-même en se concevant, c’est dans la mesure où elle est intelligible et par les moyens possibles, moyens qui constituent toujours un déterminisme. Il ne suffit donc pas de concevoir une idée quelconque de la liberté pour la réaliser par cela même immédiatement, et d’une manière adéquate ; il faut concevoir une idée vraie de la liberté et la réaliser progressivement. C’est ce que M. Benamosegh semble oublier.

Aussi l’exemple qu’il choisit pour montrer comment l’idée de liberté a une force de réalisation spontanée est-il de tous le moins probant. Cet exemple, en effet, est pris de la liberté d’indifférence. Or, quand je conçois la liberté d’indifférence, qui n’est qu’une liberté inférieure, je puis bien sans doute la réaliser dans tout ce qu’elle a de possible et d’intelligible, mais je ne le puis dans ce qu’elle a d’impossible et d’inintelligible. Vouloir se lever ou s’asseoir, lever le bras ou l’abaisser, écrire gros ou fin, c’est là pour ainsi dire de l’indépendance enfantine, premier stade de la liberté. L’in-