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Dieu, à une vie future, à des biens inconnus dans un monde invisible. » Il serait plus vrai de dire que les sociétés humaines ne contiennent entièrement aucune des facultés de l’homme. Les plus humbles, comme les plus hautes, ont leur sphère d’action légitime et indépendante et créent, entre les hommes, des rapports de toutes sortes, qui ne sont régis par aucune loi positive. Elles se meuvent, en dehors de toute société particulière, dans cette société naturelle et universelle du genre humain que les philosophes anciens et modernes ont si souvent et si magnifiquement célébrée. Or c’est une société essentiellement anarchique, dont la condition répond exactement à la conception d’un état de nature. On peut sans doute y reconnaître, avec Leibniz[1], le gouvernement de Dieu même ; mais ce gouvernement est tout moral ; il ne se manifeste qu’à la conscience individuelle, éclairée par un enseignement théologique ou métaphysique ; il ne détruit pas, dans les rapports réels et sensibles des hommes entre eux, l’état d’anarchie. Que si le gouvernement de Dieu prend la forme d’une révélation positive, confiée à un corps de prêtres, sous l’autorité d’un chef suprême, il ne change pas pour cela de nature. Ou bien l’Église ne commande qu’aux consciences, et son action ne devient efficace que par leur libre adhésion ; ou bien elle s’arroge le droit de contraindre, et elle se confond ainsi avec le pouvoir civil. Dans le premier cas, l’anarchie subsiste ; dans le second, il ne s’agit plus du gouvernement universel de Dieu, mais d’une société particulière, sous des institutions théocratiques.

Les sociétés particulières se considèrent elles-mêmes comme les premiers membres de la société universelle, au sein de laquelle elles représentent les individus dont elles se composent. En vain quelques-unes ont-elles prétendu se fermer à tout commerce, à toute relation suivie avec les sociétés étrangères ; nulle ne s’est jamais assuré un isolement absolu. Or, dans les rapports volontaires ou forcés, réguliers ou exceptionnels entre les diverses sociétés, aucun chef commun n’est reconnu, aucun principe commun n’a partout et absolument force de loi. Chacune, suivant la conscience, les lumières ou le bon vouloir de ceux qui la dirigent, se fait juge dans sa propre cause et ne se soumet qu’à de libres conventions ou à la loi du plus fort. Dans la paix comme dans la guerre, la société qu’elles ont entre elles est une société anarchique : elle appartient à l’état de nature.

Lee individus n’agissent en général, dans leurs rapports international. que comme membres d’une société particulière, comme citoyens d’un État, dont ils invoquent au besoin la protection. Il est

  1. In generali societate sub rectore Deo (Leibnitii Monda quœdam ad Pufendorfiit principia).