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préétablie entre celle-ci et le corps. Les travaux des physiologistes d’un côté, de l’autre les analyses des psychologues semblent fortifier cette solution en apparence claire. L’anatomie du système nerveux, les expériences faites sur les filets postérieurs et antérieurs de la moelle épinière, la description microscopique des centres rachidiens et cérébraux avec leurs connexions ramifiées et leur intégration graduelle, tout n’éveille-t-il pas l’idée d’un appareil à la fois extrêmement complexe et simple, où aucun ressort ne vibre que d’une façon originale, avec son timbre propre, même fût-il mêlé aux harmoniques de tout le système ; où aucun fil ne s’embrouille en traversant cet écheveau confus de la masse cérébro-spinale : de telle façon que, si l’un de ces fils est tiré du dehors, l’attention de l’esprit se porte de ce côté ; si une note douloureuse ou agréable retentit dans la symphonie vague de l’organisme entier, le chef d’orchestre invisible en voit instantanément le point d’origine. Ecartons les images, traduisons l’idée en termes abstraits, dans le langage de la physiologie. « Des membres entiers, la plupart même des parties de notre corps, étant pénétrés de nerfs sensitifs, il résulte de là, dit J. Müller, que le sens du toucher a la possibilité de distinguer l’étendue de notre corps dans toutes les dimensions, car chaque point où aboutit une libre nerveuse est représenté dans le sensorium comme partie intégrante de l’espace. »

En tout cas une vérité importante a été mise en lumière. Cette sorte de science topographique de l’organisme a ses conditions prédéterminées dans notre organisation corporelle et spirituelle : nous en sommes redevables aussi bien au mécanisme physiologique de notre appareil nerveux et musculaire qu’à la sensation inséparable de son fonctionnement. Ces deux sortes de conditions suffisent aux localisations spontanées. Mais, si toute impression périphérique est de soi localisable en dehors d’une conscience claire et distincte, comment nos impressions corporelles sont-elles par nous localisées avec la représentation exacte des parties et des points irrités de l’organisme ? Le phénomène est en effet loin de se ressembler dans tous les cas : il est réflexe chez l’animal décapité ; instinctif et sans doute conscient chez les vertébrés supérieurs ; réfléchi et représentatif chez l’homme, grâce à la volonté. Et encore faut-il distinguer : chez l’homme même beaucoup de localisations restent vagues, incertaines, instinctives ou automatiques ; quelques-unes seules sont nettes et distinctes, mais suffisent pour former les linéaments principaux de notre topographie corporelle et grouper les autres autour d’elles. Cette connaissance que nous avons de notre corps dans son entier n’a donc rien d’uniforme ni d’invariable : elle varie comme