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a. debon. — localisations psychologiques

sensibilité périphérique), était familière à Condillac et à Diderot. Le pied, la main, les cuisses, le ventre, l’estomac, la poitrine, le poumon, le cœur, dit l’auteur du Rêve de d’Alembert, ont leurs sensations particulières : « Si cette infinie diversité du toucher n’existait pas, on saurait qu’on éprouve du plaisir ou de la douleur, mais on ne saurait où les rapporter. Il faudrait le secours de la vue. Ce ne serait plus une affaire de sensation, ce serait une affaire d’expérience et d’observation. » — « Quand je dirais que j’ai mal au doigt, interrompt Mlle de Lespinasse, si l’on me demandait pourquoi j’assure que c’est au doigt que j’ai mal, il faudrait que je répondisse non pas que je le sens, mais que je sens du mal et que je vois que mon doigt est malade[1]. » Imaginez une araignée au centre de sa toile : un fil est-il ébranlé ? l’animal accourt de toute sa vitesse. Les filets nerveux noués par la moelle au cerveau sont les fils de l’insecte ; ils font partie sensible de son être ; et, à la moindre oscillation, le moi est instruit de tout ce qui se passe aux extrémités de son logis, comme l’araignée au contact du plus mince granule de poussière. S’il n’en était pas ainsi, la « direction et le lieu de la secousse » ne suffiraient pas à déterminer le jugement si subit de l’origine des faisceaux nerveux, du moi.

Il y a dans cette thèse de Diderot, conforme à l’opinion vulgaire, une part de vérité et une part d’erreur. Il est certain que le caractère spécifique des sensations selon leur point d’origine nous permet actuellement, sans réflexion, d’une façon immédiate, de dire en quel endroit de l’organisme l’impression a eu lieu ; mais en est-il ainsi dès le début, et toutes nos sensations sont-elles immédiatement localisées ? M. Stricker, dans ses Studien über das Bewusstsein, le croit. La faculté de sentir, nous dit-il avec Diderot, n’est point exclusivement renfermée dans les limites de l’appareil cérébral ; elle s’étend du cerveau jusqu’aux extrémités terminales des nerfs. L’organisme est au point de vue psychologique un véritable sensorium, dont la conscience est le centre ; chaque acte de la conscience centrale est inséparablement lié aux déterminations concomitantes de la sensibilité périphérique. Dès que celle-ci est mise en branle, la conscience de soi est avertie du temps et du lieu, sauf accident ; de sorte que les localisations ne seraient pas seulement naturelles et immédiates, mais inévitables à la conscience.

Il y a au fond de cette doctrine, malgré le talent que M. Stricker a déployé à son service, une grande obscurité et beaucoup de confusion. L’existence d’une sensibilité diffuse et organique, à propre-

  1. Voy. Œuvres complètes de Diderot, édition Assézat, vol. II, p. 146.