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non existante pour le désir qu’ils se passent de l’un à l’autre, et de me la différence des sensations ou images, ou des groupes de sensations ou d’images, si hétérogènes qu’elles soient, que nous rapportons à un même objet, et aussi bien des formules verbales qui le ut, est non avenue pour la croyance qui les parcourt. Je marche vers un puits, je fais fonctionner la pompe, j’incline le seau plein et je bois ; faire tout cela, c’est également désirer boire. Je vois quelque chose de jaune et de rond, je songe à un contact froid et velouté, à un goût acidulé et sucré, au mot français pêche, au mot Latin persica… sentir ou imaginer tout cela, c’est penser, dit-on, au même objet, c’est, dirai-je, promener sa croyance dans une même direction[1].

Deux notions capitales, le vrai et le bien, méritent une place à part, car on y voit la croyance et le désir non seulement se combiner entre eux, mais se réfléchir sur eux-mêmes. Le juste, le bon, le désirable, c’est tantôt ce que l’on croit désiré par un nombre indéfini, pratiquement infini, de personnes, tantôt ce dont le désir, soit en nous, soit en autrui, n’étant pas éprouvé, est désiré par nous en vertu d’un jugement d’identité, appelé ici jugement de finalité. Un musulman pieux, mais sensuel, à l’époque du Râmadan, juge bonne et juste la sobriété qu’il n’aime pas, et il la juge telle parce qu’il désirerait l’aimer, comme propre à lui mériter le paradis, qu’il souhaite. Le vrai, le croyable, c’est tantôt ce que l’on croit cru par l’immense majorité des hommes, tantôt ce dont la croyance immédiate, la perception, soit en nous soit en autrui, est conditionnellement (c’est-à-dire, on le sait, optativement, puisque toute hypothèse implique le désir plus ou moins dissimulé d’une thèse) affirmée par nous, en vertu d’un jugement d’identité proprement dit. Exemple : qu’est-ce que j’entends en tenant pour vraie la rotation de la terre autour du soleil ? Ceci au fond : je crois à la croyance immédiate que j’en aurais s’il m’était donné d’avoir des yeux assez

  1. Quand un lien d’attribut à sujet, perçu d’abord entre deux sensations, se représente entre leurs images, qui sont cependant ces sensations elles-mêmes affaiblies, la croyance avec laquelle on affirme ce lien n’a nullement diminué. Preuve, entre mille, que la croyance n’est pas fonction de la sensation. Cette conservation de la relation-croyance, malgré l’affaiblissement de ses termes, est ce qui explique la vertu abréviative de la substitution, si bien étudiée d’ailleurs par M. Taine au début de l’Intelligence. Au nom d’un de mes amis, une silhouette rapide de son visage m’apparaît parfois, mais pas toujours ; toutefois, aussi bien dans ce second cas que dans le premier, ce nom réveille en moi la certitude d’avoir vu la personne qu’il désigne. Cette certitude est même plutôt entravée qu’aidée par l’apparition de la silhouette, car à la vue de celle-ci est attachée une certitude toute différente qui tend à chasser l’autre (et y parviendrait en rêve), à savoir la certitude de voir et non d’avoir vu.