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« D’abord, il était impossible d’avoir avec elle une conversation. Au lieu de répondre à une question, elle la répétait tout haut textuellement, et, pendant longtemps avant de répondre, elle répétait la question tout entière. Elle n’avait à L’origine qu’un bien petit nombre de mots à son service ; elle en acquit rapidement un grand nombre ; mais elle commettait d’étranges erreurs en les employant. Cependant, en général, elle ne confondait ensemble que les mots qui avaient ensemble quelques rapports. Ainsi, pour « thé », elle disait « sauce » (et elle employa longtemps ce mot pour les liquides) ; pour blanc, elle disait noir ; pour chaud, froid ; pour « ma jambe », « mon bras » ; pour « mon œil », « ma dent », etc. D’ordinaire, elle use maintenant de mots avec propriété, quoiqu’elle change parlois leurs terminaisons ou qu’elle en compose de nouveaux.

« Elle n’a encore reconnu personne, même parmi ses plus proches parents, c’est-à-dire qu’elle n’a aucun souvenir de les avoir vus avant sa maladie. Elle les désigne par leurs noms ou par ceux qu’elle leur a donnés ; mais elle les considère comme de nouvelles connaissances et n’a aucune idée de leur parenté avec elle. Depuis sa maladie, elle n’a vu qu’une douzaine de gens, et c’est pour elle tout ce qu’elle a jamais connu.

« Elle a appris de nouveau à lire ; mais il a été nécessaire de commencer par l’alphabet, car elle ne connaissait plus une seule lettre. Elle apprit ensuite à former des syllabes, des mots et maintenant, elle lit passablement. Ce qui l’a aidée le plus dans cette réacquisition, c’est de chanter les paroles de certaines chansons qui lui étaient familières et qu’on lui présentait imprimées pendant qu’elle jouait du piano.

« Pour apprendre à écrire, elle a commencé par les études les plus élémentaires, mais elle a fait des progrès beaucoup plus rapides qu’une personne qui ne l’aurait jamais su.

« Peu après être sortie de sa torpeur, elle a pu chanter plusieurs de ses anciennes chansons et jouer du piano avec peu ou point d’aide. Quand elle chante, elle a en général besoin d’être aidée pour les deux ou trois premiers mots d’une ligne ; elle achève le reste de mémoire, à ce qu’il semble. Elle peut jouer, d’après une partition, plusieurs airs qu’elle n*avait jamais vus auparavant.

« Elle a appris sans difficulté plusieurs jeux de cartes ; elle sait tricoter et faire divers ouvrages analogues.

« Mais, je le répète, il est remarquable qu’elle ne semble pas avoir le plus léger souvenir d’avoir possédé autrefois tout cela, quoiqu’il soit évident qu’elle ait été grandement aidée dans son travail de réacquisition par ces connaissances antérieures dont elle n’a pas con-