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analyses. — g. neudecker. Geschichte der Æsthetik.

elle ne rend superflue aucune des questions qu’elle veut d’abord écarter. Elle les rencontre elle-même partout sur sa route ; elle essaye de les tourner, mais elles lui barrent le chemin. Elle-même est forcée de leur donner une réponse au moins provisoire dans la pratique, réponse qu’elle est forcée d’emprunter, sans s’en douter, aux théories qu’elle a condamnées et déclarées chimériques.

VI. Pour qui serait conséquent, il n’y aurait qu’à se résigner au scepticisme. L’abandon de la connaissance scientifique, et le retour à Kant, la négation en particulier de la science esthétique, c’est là ce qui serait à conseiller ; mais il n’en est pas ainsi. Le rêve métaphysique est revenu hanter certains esprits au sein même de cette école.

De ce nombre est un écrivain distingué, l’auteur de l’Histoire du matérialisme, Lange. On a ici à signaler une direction particulière des nouveaux kantiens. Kant s’était contenté d’expliquer la possibilité des jugements du goût comme problème scientifique d’une esthétique, non sans rencontrer, dans le cours de son étude, précisément ces profondes et hautes questions dans lesquelles il n’entre pas et qu’il effleure.

Le chef de ce nouveau kantisme établit une distinction curieuse entre la science et l’art, et qui mérite d’être signalée.

Selon Lange, l’art comme réalisation de l’idée du beau ou de l’idéal est profondément distinct de la science. Comme la métaphysique et la religion, il appartient au domaine de la poésie ou de la fiction (Dichtung). La science théorique n’a sa vérité que sur le terrain de l’expérience. La raison ici se borne strictement à la recherche des faits et des causes. Mais le cœur aussi a ses droits. Il tire sa vivante nourriture et sa force inspiratrice de l’idée du beau et du bien, dont aucune réalité scientifique ne nous donne la connaissance. Elles n’ont pas moins une valeur infinie et même bien supérieure. Ces idées, ce n’est pas un jeu de l’esprit ni le caprice du talent qui les engendre. Les œuvres de l’art ne sont pas destinées à l’amusement et au caprice, ni de vides inventions. C’est un produit nécessaire de l’esprit sortant des racines les plus profondes de la vie de l’espèce. On doit y voir un contrepoids tout-puissant aux douleurs de la vie, un remède contre le pessimisme qui naît d’un commerce exclusif avec les réalités de la condition présente. Leur mesuré, c’est la mesure de la pureté, de la grandeur poétiques. Elles doivent servir à entretenir en nous et à développer le sens de l’idéal.

M. Neudecker relève avec raison la faiblesse et l’incohérence de cette doctrine. Laissant de côté ce qui a trait ici à la science et à une détermination précise de ses conditions, il se borne à demander ce qu’on entend ici par le beau et l’idéal. Dans cette école, le beau n’est pas une chose en soi qui soit connaissable. Qu’est-il donc ? C’est quelque chose de transcendant. De plus, il a une affinité générique avec le bien, objet de la conscience. Lui aussi n’est pas connu, car lui aussi échappe à la science. Le beau inconnu, le bien inconnu, ce sont deux . Où sera dès lors la mesure ? La mesure en est, selon Lange, dans « la pureté, la