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des moralistes a été, tout en indiquant cette fin, de ne pas s’inquiéter assez des moyens de l’obtenir. Le développement du motif moral ou de « l’amour du devoir » ne peut avoir lieu qu’aux dépens des sources inférieures d’action. Le devoir ne peut être affermi qu’en subjuguant et en domptant à son profit ces motifs d’ordre inférieur qui varient suivant les époques de la vie. Ainsi, pendant la jeunesse, ce sont surtout les appétits et les passions que le devoir doit réprimer. Plus tard, la lutte est contre ce que Hume appelle les « passions calmes ï, l’avarice, l’ambition, l’égoïsme. Article un peu vague, comme il arrive trop souvent à ceux qui sont consacrés aux questions de cet ordre.

W.-R. Sorley. La philosophie juive du moyen âge et Spinoza. — Les anciens Juifs n’ont pas philosophé d’une manière originale ; mais ils ont montré un grand pouvoir d’assimilation à l’égard des idées de l’Égypte, de la Babylonie, de la Grèce. Au moyen âge, trois influences principales agissent sur les penseurs juifs : l’aristotélisme, le néoplatonisme, l’interprétation traditionnelle de l’Écriture. Par exemple, en ce qui concerne la question de la nature de Dieu, quelques docteurs la réduisent à une abstraction indéterminée. Dans ses rapports avec le monde, Dieu est pour les uns un Créateur ex nihilo, pour d’autres un principe d’émanation. La philosophie juive a eu cependant cela de commun avec la scolastique que son problème lui vient non du dehors, mais du dedans, de la religion établie. — Spinoza rejette les hypothèses des rabbins, tout comme Descartes rompt avec la scolastique. L’auteur, après avoir rappelé les travaux récents sur les origines de la philosophie de Spinoza, en particulier ceux de Joël (de Breslau) et la découverte en 1802 du Tractatus brevis de Deo, homine ejusque felicitate qui jette un grand jour sur l’origine de sa philosophie[1] fait remarquer tout d’abord que le Tractatus brevis est beaucoup plus près de Descartes que ne l’est l’Ethique : ce qui est un premier argument contre la thèse de Joël sur les influences juives. L’article est consacré à étudier en grand détail et à combattre la théorie soutenue par le docteur de Breslau. L’auteur nie que Spinoza doive beaucoup à la Kabbale comme l’a prétendu Wachter. Il ne doit pas davantage à la Porta cœlorum d’Abraham de Herrera. Quant aux rapports avec Maimonide, Gersonide et Chasdaï Creskas leur critique, ils sont superficiels. À la vérité, Spinoza a l’antipathie de l’aristotélisme, comme Creskas ; mais ce n’est pas une raison pour dire que celui-ci a poussé Spinoza « à créer un nouveau système qui diffère toto cœlo du cartésianisme ». L’auteur examine plusieurs points ; nous n’en citerons qu’un. « Le but principal de l’homme, dit Creskas, c’est l’amour de Dieu sans préoccupation de ce qui est en dehors de cet amour. » Joël identifie cette doctrine avec le point culminant de la philosophie de Spinoza, l’amour intellectuel de Dieu. Mais les deux thèses sont différentes. Pour l’un, l’amour est cons-

  1. Sur ce traité traduit en français par M. Janet, voir la Revue philosophique du 1er janvier 1879, p. 67.