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simple risible et le ridicule jusqu’aux degrés les plus intenses du bizarre, du grotesque, du fantastique, de l’absurde, etc. Lui aussi préconise cette forme supérieure de l’humour et l’ironie humoristique.

Les représentants principaux de ces deux directions qui convergent et se réunissent dans l’esthétique allemande sont : Jean-Paul Richter, les deux Schlegel, Novalis, L. Tieck parmi les littérateurs, Fr. Solger parmi les philosophes.

Avant d’esquisser la théorie nouvelle du comique qui est sortie de ce double mouvement, qu’on nous permette une réflexion qui n’est pas hors de propos dans les circonstances présentes.

On a beaucoup médit, dans ces derniers temps, de la métaphysique. On affecte surtout de parler avec dédain des systèmes qui ont suivi la réforme kantienne. Ces gigantesques constructions à priori où trouvent leur place tous les vastes problèmes que se pose la raison, mais qui n’ont su en résoudre aucun n’ont eu, dit-on, qu’une existence éphémère. Soit. Nous n’avons pas à les réhabiliter ; seulement nous faisons remarquer, au sujet de la question restreinte qui nous occupe, qu’elle leur est redevable non de son existence, sans doute, puisqu’elle avait déjà été dès longtemps traitée, mais de l’essor qu’elle a pris grâce à leur influence, de l’importance qui désormais lui sera reconnue, et de la place à la fois étendue et élevée qui lui sera accordée par les esthéticiens de toutes les écoles.

C’est, pour le dire en passant, que la métaphysique, fût-elle une science vaine, a cet avantage, selon l’expression de Bacon et de Descartes, de remuer le sol de la science et de le féconder, de creuser au pied de l’arbre, de lui faire pousser des branches nouvelles et porter des fruits que les recherches empiriques sont incapables de donner.

Cela dit, reprenons le fil de notre exposition.

Jean-Paul, l’écrivain humoriste, est aussi le vrai théoricien de l’humour. Son Esthétique (Vorschule der Æsthetik) ne traite, à vrai dire, que cette question. C’est le centre auquel tout se rapporte ou se subordonne. Les défauts du livre, son absence de méthode, son mode d’exposition et son style humoristique, les saillies bizarres dont il est semé, ne doivent pas en faire méconnaître le mérite sérieux et la haute valeur esthétique. Il fait date dans cette histoire, et il est resté classique, du moins en ce qui concerne le sujet particulier dont il s’agit. Celui-ci est traité avec une ampleur d’analyse et une richesse de détails que rien avant ni depuis n’a égalées. Toutes les théories postérieures y ont puisé et en ont reproduit la pensée principale. Il est rempli de pensées profondes, d’observations fines et judicieuses qui, malgré beaucoup d’excentricités, en font un véritable trésor.