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qu’elle n’est que la sienne. Que Sancho reste toute une nuit suspendu sur un fossé croyant être sur un abîme béant, son anxiété, dans cette supposition, est très raisonnable ; il serait insensé s’il s’exposait à se rompre le cou. Pourquoi cependant rions-nous ? Là est le nœud de la question, dit Jean-Paul : c’est que notre pensée se mêle à la sienne. Nous prêtons à sa conduite notre propre manière de voir, et nous engendrons par cette contradiction une sottise infinie. Notre imagination, qui ici, comme dans le sublime, établit le lien entre l’idée et sa manifestation extérieure, entre la réalité et l’apparence, n’est capable de cette substitution que parce que l’erreur est rendue visible à nos yeux. Le fait de nous tromper nous-mêmes, par lequel nous substituons à la conduite d’autrui notre propre jugement opposé au sien, rend précisément la chose absurde, et c’est de cette absurdité que nous rions ; de sorte que le comique comme le sublime ne réside qu’en nous, et non dans l’objet lui-même.

Nous avons présenté la théorie du risible de Jean-Paul dégagée des détails qui l’offusquent et la rendent difficile à saisir. Il suffit de l’avoir exposée pour en faire remarquer l’originalité et la supériorité sur les précédentes. Un autre progrès d’ailleurs à noter, c’est qu’elle est discutée, entourée d’une analyse sérieuse, qui contraste avec le ton laconique et dogmatique des autres esthéticiens.

Jean-Paul essaye ensuite d’expliquer le plaisir que nous fait éprouver la vue du risible. Son explication, qui paraîtra subtile et n’est pas à l’abri des objections, est au moins ingénieuse, très supérieure à celle de Kant, sur laquelle elle s’appuie. Elle est précédée d’une critique et de réflexions dont la justesse et la sagacité ne peuvent échapper à personne et qui jettent une vive lumière sur le fait intellectuel d’une délicatesse et d’une fugitivité telles qu’il semble déjouer tous les efforts de l’analyse.

Il est un fait évident, dit Jean-Paul : c’est que le rire détend les ressorts de l’âme et aussi ceux du corps. Ce singulier phénomène s’accomplit dans l’homme seul, à tel point que quelques philosophes ont fait du rire le caractère distinctif de notre espèce. Quel est-il ? D’où vient le plaisir qui l’accompagne ?

Selon Jean-Paul, aucune des définitions antérieures ne peut en rendre compte. Comment la sottise inoffensive d’Aristote, la réduction de l’attente à rien de Kant, le spectacle de la misère humaine peuvent-ils exciter notre hilarité ? L’homme ne doit-il pas plutôt s’affliger des misères de ses semblables. Et cependant il éprouve une joie subite à la vue du ridicule. Il y a plus : ce jeu de son esprit suffit pour ébranler toute la machine, au point quelquefois de