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créatrice, planant au-dessus des règles, qui se joue librement dans une sphère supérieure à celle de la réalité vulgaire et prosaïque, qui se pose orgueilleusement en opposition avec le sens commun et la raison, qui se rit de ce qui paraît sérieux au commun des hommes. Dans sa haute indifférence, elle se place au-dessus de la moralité elle-même, elle méprise ce qui est regardé comme obligatoire par la conscience, et ne se croit pas astreinte à respecter les liens les plus sacrés, comme ceux du mariage par exemple. Elle proclame la passion supérieure au devoir, etc. (Lucinde). — Tout cela chez nous a été proclamé, prêché en prose et en vers, mis en pratique dans le drame et dans le roman. Qu’est-ce autre chose que le principe de l’ironie divine, déjà admis avec quelque réserve par Jean-Paul, ici formulé d’une manière plus exagérée par Fr. de Schlegel, exposé, développé et mis en action dans un roman qui a eu une certaine vogue (Lucinde) ?

On retrouverait la même doctrine exposée et réalisée dans d’autres écrivains romantiques (L. Tieck, etc.) de cette époque. Quant au comique proprement dit, comme opposé au tragique, W. de Schlegel, le célèbre critique, en conçoit l’idée parfaitement d’accord avec ce qui précède ; mais, moins conséquent et peu théoricien, il la mitigé et la mêle à des ingrédients qu’on a vus dans les théories antérieures. « Le tragique répond au sérieux, le comique au gai. Le sérieux consiste dans la direction des forces de l’âme vers un but qui absorbe son activité. La gaieté, c’est l’absence de but et le déploiement inattendu de toutes nos facultés. » Le poète tragique voit son objet au-dessus de lui, et il en reçoit la loi ; le poète comique au contraire se dégage du sien. — « De même que le sérieux, animé par l’inspiration poétique, est l’essence de la tragédie, l’essence de la comédie, qui est la gaieté, est une sorte d’oubli de la vie. Ne prenant rien au sérieux, nous nous laissons glisser légèrement sur la surface de toute chose. Ne voyant plus dans les imperfections et les travers de nos semblables que des objets sans importance, qui ne méritent ni d’être blâmés ni de nous attrister, nous nous réjouissons des contrastes bizarres qui exercent notre esprit et animent notre imagination. » Ainsi le comique n’existe pas en soi : il est dans notre manière de voir. Aussi, l’auteur comique doit se tenir à distance de tout ce qui pourrait exciter notre indignation. « Il doit représenter les travers et les inconséquences des hommes comme des jeux du hasard et des caprices du sort, qui ne peuvent entraîner aucune suite fâcheuse, etc. »

Le savant et spirituel critique n’ose, on le voit, adopter tout à fait la théorie de son frère. Il la tempère par des emprunts qu’il fait aux théories antérieures ; mais il la détruit par ses réserves.