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pierre de 10 mètres, il faut d’abord la jeter à 10 mètres en l’air. C’est le seul moyen d’obtenir, par exemple, les effets mécaniques que produit la chute d’une pierre de cette hauteur. Prendre pour cause la somme des conditions d’un phénomène, comme l’ont voulu plusieurs philosophes, est, d’un autre côté, pratiquement impossible, car la somme des conditions égale la série infinie des phénomènes qui ont précédé l’effet. La cause à ce compte serait l’univers tout entier. Il paraît donc nécessaire, pour donner au mot de cause une acception scientifique et pratique, de le restreindre à l’ « événement » unique qui peut rendre compte, à lui seul, de la quantité et de la qualité de l’effet. C’est le seul moyen de bannir partout l’arbitraire de la détermination de la cause.

La cause et l’effet sont donc non pas des choses, non pas des substances, mais des « événements » passagers. Les discussions scolastiques sur la simultanéité ou la succession de la cause et de l’effet, sur la persistance ou la non-persistance de l’effet après la cause, sont venues en grande partie d’une fausse application du concept de Cause à des objets ou à des substances[1]. Tantôt il fallait que la cause, en sa qualité d’objet durable, persistât à côté de l’effet ; tantôt au contraire, substance active, elle devait précéder cet effet. Mais si la cause et l’effet ne sont que des « événements » dans le temps, le rapport de cause et d’effet devra se conformer aux conditions qui régissent la connexion des phénomènes dans le temps, et la succession dans le temps deviendra la condition expresse de toute liaison causale.

M. Wundt ne prétend pas qu’en fait la cause et l’effet nous soient toujours donnés comme successifs. À ne consulter que nos perceptions immédiates, beaucoup de liaisons causales seraient simultanées. Telles sont, par exemple, l’attraction réciproque de la terre et de la lune, ou l’action qu’exercent l’un sur l’autre les plateaux d’une balance en équilibre ; la règle de la succession n’est donc pas obtenue par généralisation des données expérimentales. C’est plutôt un postulat que notre pensée intuitive impose à l’expérience. Si nous considérons, en effet, la cause et l’effet comme deux « événements », il nous est impossible de nous représenter une liaison causale autrement que comme une succession dans le Temps ; l’intuition exige donc que, dans tous les cas où nos sens nous donneront des liaisons causales simultanées, nous transformions en une succession cette simultanéité apparente. Or il suffit, dans la plupart des cas, de faire cesser toute confusion entre les causes et les objets

  1. Falsche Verdinglichung des Causalbegriffe.