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th. ribot. — les désordres partiels de la mémoire.

Le rapport entre le signe et l’idée, très simple pour les psychologues d’observation intérieure, devient très complexe pour une psychologie positive, qui ne peut rien tant que l’anatomie et la physiologie ne seront pas plus avancées.

Il nous faut considérer maintenant l’amnésie des signes sous un autre aspect. Nous l’avons étudiée dans sa nature ; nous allons l’étudier dans son évolution. J’ai essayé de faire voir qu’elle porte surtout sur les éléments moteurs, que c’est là ce qui lui donne un caractère à part ; mais, qu’on admette ou non cette hypothèse, cela importe peu pour ce qui va suivre.

Parfois l’aphasie est de courte durée. Parfois elle devient chronique, et, si l’on revoit les malades après des années d’intervalle, on ne trouve pas que leur état ait changé sensiblement. Mais il y a des cas plus graves où de nouvelles attaques apoplectiques augmentent l’intensité de la maladie : elle suit alors une marche progressive qui est de plus grand intérêt pour nous. Il se produit une sorte d’anéantissement par étages, dans lequel la mémoire des signes diminue de plus en plus en suivant un certain ordre. Cet ordre, en résumé, le voici : 1o les mots, c’est-à-dire le langage rationnel ; 2o les phrases exclamatives, les interjections, ce que Max Müller désigne sous le nom de « langage émotionnel » ; 3o dans des cas très rares, les gestes. Examinons en détail ces trois périodes de dissolution ; nous aurons ainsi embrassé l’amnésie des signes dans sa totalité.

1o La première période est de beaucoup la plus importante, puisqu’elle comprend les formes supérieures du langage, celui qui traduit la pensée réfléchie, qui est proprement humain. Ici encore, la dissolution suit un ordre déterminé. Certains médecins, même avant les travaux contemporains sur l’aphasie, avaient remarqué qu’en pareil cas la mémoire des noms propres se perd avant celle des substantifs, qui elle-même précède celle des adjectifs. Cette remarque a été confirmée depuis par de nombreuses observations. « Les substantifs, dit Kussmaul dans son récent ouvrage, et en particulier les noms propres et les noms de choses (Sachnamen) sont plus facilement oubliés que les verbes, les adjectifs, les conjonctions et les autres parties du discours[1]. » Ce fait n’a été noté par les médecins qu’en passant. Bien peu en ont recherché les causes. Il ne présente pas, en effet, pour eux, d’intérêt clinique, tandis qu’il est d’une grande importance pour la psychologie.

On voit du premier coup d’œil que la marche de l’amnésie va du particulier au général. Elle atteint d’abord les noms propres qui

  1. Die Störungen der Sprachc, p. 164.