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En effet, il faudrait remonter jusqu’à Moïse, c’est-à-dire assez près du déluge, pour trouver un idéal de constitution politique duquel M. de Bonald voulût s’accommoder. De Maistre, lui, sait compter avec les événements, et, s’il lutte avec violence, c’est qu’il a éprouvé maintes fois la force de l’adversaire ; il répond aux apologistes de la Terreur en justifiant l’Inquisition ; il oppose à la souveraineté du peuple la souveraineté du pape ; c’est un polémiste. De Bonald enseigne au lieu de discuter ; c’est un docteur et qui songe moins aux choses de son siècle qu’aux choses éternelles.

Il y a toujours profit à revenir sur ces problèmes, aussi vieux que l’homme et dont l’intérêt durera autant que lui et l’on rend service à nous reparler d’hommes et de doctrines un peu trop oubliés par les uns, un peu trop présents à la mémoire des autres. De Maistre et de Bonald ont aujourd’hui peut-être plus de disciples qu’ils n’avaient autrefois d’admirateurs. Ne les admirons point, c’est notre droit, mais cherchons à les bien connaître, notre devoir nous y oblige, et aujourd’hui plus que jamais.

À ce point de vue, les expositions de M. Ferraz sont aussi exactes que complètes, et l’on peut dire qu’il a extrait de ses auteurs tout ce qui méritait de durer, en bien comme en mal. D’autres avant lui nous avaient raconté les hommes ; il restait à faire l’histoire des idées et à nous la faire avec méthode[1].

En effet, quand on plaide l’origine humaine du langage et que l’on réfute, en passant, la thèse de M. de Bonald, est-on bien sûr de ne lui point attribuer, dans le détail, telle ou telle opinion qu’il n’eut jamais ? En un mot, est-on bien sûr de connaître la doctrine ? M. Ferraz n’a pas craint d’insister sur cet attrayant chapitre de psychologie et de nous montrer la théorie sensualiste ou condillacienne devenant entre les mains de M. de Bonald une arme contre le rationalisme ou la libre pensée. De même, il est intéressant de savoir comment l’auteur de la Législation primitive s’efforçait à rajeunir l’argument des Causes finales et à protéger Dieu contre les savants. Ce jour-là, le vicomte de Bonald fut rationaliste malgré lui.

On exagérerait, d’ailleurs en opposant le rationalisme au traditionalisme : chacune de ces doctrines ou plutôt de ces tendances d’esprit exclut l’autre quand elle est portée à l’absolu. Mais, dans une âme d’homme, elles peuvent se mêler à doses inégales : cela est arrivé à M. de Bonald, cela était arrivé au comte de Maistre, qui avait essayé une réfutation de Locke et de Bacon, en opposant à l’un l’existence des idées innées, à l’autre l’éclosion immédiate des idées de génie, même dans l’ordre scientifique.

Lamennais, disons mieux, le premier Lamennais est plus exclusif que de Maistre ; ultramontain comme lui, il est ou paraît être ennemi

  1. Dans le premier volume M. Ferraz étudiait les doctrines socialistes. Voir la Revue, t. IV, p. 430.