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analyses. — ferraz. Histoire de la philosophie.

tants aux charmes de cette philosophie nouvelle, elle l’était du moins pour nous, et il nous a paru que le Père Gratry était de ceux qui méritent le plus d’avoir raison. M. Ferraz n’est pas de cet avis, el nous pensons aujourd’hui comme M. Ferraz. Sans doute, il est entré dans l’âme de Gratry quelque chose de l’âme de Malebranche ; mais l’âme de Malebranche n’est point celle de tous les penseurs ; je ne sais qui lui reprochait d’avoir trop de l’ange, et de nous élever à des hauteurs où l’on ne sait plus rien voir si l’on n’est quelque peu visionnaire. Gratry l’était entre tous, lui qui voulait prouver par les mathématiques le mystère de la Trinité. En logique, il savait mieux détruire qu’édifier ; c’est merveille de l’entendre reprocher à Hegel d’inventer un absolu où les contradictoires deviennent identiques, puis de le voir à son tour imaginer un absolu nouveau où viennent se confondre l’induction et la déduction. Tout cela est bien exposé par M. Ferraz, et judicieusement apprécié. Il va sans dire que Gratry est aussi peu ultramontain que possible : en philosophie, il est chrétien, mais d’un christianisme tolérant, progressiste, d’un christianisme ouvert, comme on dirait aujourd’hui. C’est encore pourtant un christianisme catholique.

Un dernier chapitre nous remet en mémoire un philosophe et une doctrine généralement inconnus ou méconnus. Bordas-Demoulin, né en 1798 dans la Dordogne, meurt à Paris, à l’hôpital Lariboisière, en juillet 1859, et cela sans pouvoir espérer qu’un jour à venir d’autres que ses amis lui rendront pleine justice. Il est certes de ceux dont la philosophie française a le plus droit d’être fière. L’Institut avait mis au concours, en 1840, l’histoire de la révolution cartésienne : entre plusieurs mémoires, deux furent également distingués et jugés dignes du prix. Les lauréats étaient Bordas et M. Bouillier. Bordas n’appartenait pas à l’Université, il avait même attaqué le chef de l’école philosophique universitaire, Victor Cousin ; au lieu d’une histoire du cartésianisme, il apportait une interprétation personnelle de la philosophie de Descartes, et dans laquelle les mathématiques supérieures tenaient une large part ; c’était forcer ses juges à le suivre sur un terrain qu’ils connaissaient mal. Donc les chances d’échec étaient sérieuses. Voilà ce qu’aurait dû comprendre l’auteur du Cartésianisme : néanmoins il eut trop d’orgueil pour accepter cette demi-victoire.

Il n’en advint pas autrement, deux ans plus tard, à l’Éloge de Pascal : cet éloge eut le prix, mais l’Académie française ne voulut point le couronner seul : encore une victoire incomplète, autant dire une déception. Toutefois cet orgueil qui dépassait le mérite du philosophe ne le dépassait guère de beaucoup. Bordas était un penseur de premier ordre et un écrivain d’un réel talent. Pour s’en convaincre, on lira avec fruit le Cartésianisme et l’Éloge de Pascal : ici, c’est l’écrivain qui se montre, l’écrivain d’abord, puis le réformateur religieux. Là, c’est le philosophe à la recherche d’une doctrine nouvelle et dont les bases seront volontairement cartésiennes. Dans ce livre se révèle un dis-