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analyses. — ferraz. Histoire de la philosophie.

qui ouvrent la marche et non de ceux qui la ferment. Entre Bordas et les traditionalistes protestants, c’est affaire de nuance, et les traditionalistes protestants ont une place marquée dans l’histoire contemporaine. Nous espérons que M. Ferraz la leur a déjà réservée dans les volumes qu’il prépare.

En résumé, de ce livre se dégage toute une conclusion : c’est que la Révolution française a porté ses fruits jusque dans l’ordre spéculatif et que les habitudes nouvelles qu’elle a semées dans les intelligences ne sont point aisées à détruire. La Révolution a passé devant les yeux de Bonald sans l’effrayer ; elle a confirmé ses tendances, rien de plus. Bonald était traditionaliste d’instinct, et 89, même sans 93, n’aurait point triomphé de ses aversions héréditaires. Mais la Révolution a produit de Maistre. C’est elle qui par ses excès l’a rejeté vers le monde ancien. C’est elle qui l’a rendu éloquent, de l’éloquence de la haine, et, comme l’âme qu’elle indignait était l’âme d’un logicien, elle a trouvé en elle un adversaire irréconciliable. La Révolution a produit Lamennais : il l’aimait sans le savoir, alors qu’il inventait un nouveau genre d’ultramontanisme, ultramontanisme de l’avenir, doctrine généreuse, mais condamnée dès sa naissance. Ballanche est un méditatif solitaire, qui s’entend peu aux choses de la vie réelle. Bûchez est un révolutionnaire inconséquent. Quant à Bautain et Gratry, ils aiment à méditer sur les choses éternelles, et la société ne les occupe qu’à de rares intervalles : Bautain succombe sous l’étreinte de la foi ; Gratry, jamais vaincu, jamais vainqueur, tente entre la raison et la foi un accord qui ne profite ni à l’une ni à l’autre. L’esprit nouveau l’a touché quoi qu’il en dise. Bordas-Demoulin, d’un génie plus personnel, sait voir et sait oser ; il revient au christianisme des temps primitifs, je veux dire à un christianisme laïque.

Pour parler le langage d’un révolutionnaire illustre, le jour semble-t-il éloigné où la Révolution aura vaincu l’Église ? La question mérite qu’on la pose ; mais il serait contraire à l’esprit et aux habitudes de la Revue d’en essayer l’examen. Il nous suffira de dire que le livre de M. Ferraz est venu fort à propos ; aussi le recommandons-nous au « public » autant et plus encore, peut-être, qu’aux philosophes.

Lionel Dauriac.