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En changeant de sujet, l’esprit ne change pas de nature, et, si quelque diversité dans les procédés mis en œuvre semble devoir insulter de la diversité des objets qu’il étudie, les voies suivies par lui sont, en fin de compte, partout les mêmes, ici plus ouvertes, là moins accessibles, mais sans différences essentielles. Les mathématiques fourniront, il est vrai, les illustrations les meilleures et les plus nombreuses de la méthode. C’est qu’elles en sont les premiers fruits, et qu’à ce titre elles peuvent en fournir « les exemples les plus évidents et les plus certains[1]. » Mais elles n’en marquent pas les limites. La méthode les dépasse en tous sens et s’étend à tout le savoir possible.

Cela posé, quelle est cette méthode universelle ? — Avant d’en décrire les procédé-, il faut en marquer le but. Ce but, c’est la constitution de la science, c’est-à-dire « d’un système de connaissances certaines et évidentes[2]. » Rien de plus précis que cette définition. Mais aussitôt surgit une difficile question. À quelles choses sont attachées l’évidence et la certitude ? Nous venons de voir que, pour Descartes, l’unité de l’intelligence impliquait l’unité de la science. Par suite, toutes les vérités auxquelles nous pouvons atteindre ont une même nature. Une âme commune circule en elles et les relie. Il s’en faut pourtant de beaucoup qu’elles soient toutes comme sur un même plan et d’un égal accès. Il en est de prochaines et d’éclatantes, dont l’évidence nous apparaît de suite, sans intermédiaire ; mais il en est aussi, et ce sont les plus nombreuses, de lointaines et de cachées, que l’esprit ne peut atteindre et découvrir sans le secours de la méthode. D’où vient cette différence qui établit à la fois la nécessité de la méthode et en précise le but ?

D’après Descartes, toutes les connaissances ne sont pas de même ordre ; il en est de relatives, il en est d’absolues. L’absolu, « c’est tout ce qui contient en soi la nature pure et simple que l’on cherche. » Le relatif, c’est ce qui participe de la nature de l’absolu et en dérive[3]. Tels sont, par exemple, la cause et l’effet, l’égal et l’inégal, l’un et le multiple. Bien que corrélatifs, ces termes accouplés sont, l’un absolu, l’autre relatif ; ainsi la cause est absolue par rapport à l’effet, l’égal par rapport à l’inégal, l’unité par rapport à la multiplicité, car, sans la cause, l’égal et l’unité, l’effet, l’inégal et le multiple ne seraient pas connus. Ainsi l’absolu est connu par soi, le relatif est connu par l’absolu.

De là se tire le signe auquel ils se discernent l’un de l’autre. En

  1. Regul., Reg. 2.
  2. Regul., Reg. 2.
  3. Regul., Reg. 6.