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f. paulhan. — la personnalité.

le phénoménisme pur. Ce dernier a admirablement exposé dans son livre sur l’Intelligence une théorie de la mémoire absolument phénoméniste et que j’adopte volontiers. Stuart Mill se croit obligé d’admettre un lien réel existant entre les sensations, lien dont nous ne pouvons connaître la nature. « Le fait de reconnaître une sensation, de nous la remémorer et, comme nous disons, de nous rappeler que nous l’avons sentie auparavant, est le fait de mémoire le plus simple et le plus élémentaire ; et le lien ou la loi inexplicable, l’union organique (ainsi l’appelle le professeur Masson), qui rattache la conscience présente à la conscience passée qu’elle nous rappelle, c’est la plus grande approximation que nous puissions atteindre d’une conception positive de soi. Je crois d’une manière indubitable qu’il y a quelque chose de réel dans ce lien, réel comme les sensations elles-mêmes, et qui n’est pas un pur produit des lois de la pensée sans aucun fait qui lui corresponde. » Et plus loin : « J’affirme que, quelle que soit la nature de l’existence réelle que nous sommes forcés de reconnaître dans l’esprit, il ne nous est connu que d’une manière phénoménale, comme la série de ses sentiments ou de ses faits de conscience. Nous sommes forcés de reconnaître que chaque partie de la série est attachée aux autres parties par un lien qui, lui, est commun à toutes, qui n’est pas la chaîne des sentiments eux-mêmes : et comme ce qui est le même dans le premier et dans le troisième, dans le troisième et dans le quatrième, et ainsi de suite, doit être le même dans le premier et dans le cinquantième, cet élément commun est un élément permanent[1]. »

« Si donc, dit-il ailleurs[2], nous regardons l’esprit comme une série de sentiments, nous sommes obligés de compléter la proposition en l’appelant une série de sentiments qui se connaît elle-même comme passée et à venir ; et nous sommes réduits à l’alternative de croire que l’esprit ou moi est autre chose que des séries de sentiments, ou bien d’admettre le paradoxe que quelque chose qui, ex hypothesi, n’est qu’une série de sentiments, peut se connaître soi-même entant que série. »

Cette dernière proposition ne me semble pas juste. Une série qui se connaît en tant que série est une chose assez incompréhensible ; mais nous ne sommes pas obligés de la postuler. Ce que nous croyons être l’esprit, ce n’est pas une série qui se connaît en tant que série. C’est une chaîne de faits de conscience parmi lesquels quelques-uns représentent d’autres faits de la série, comme d’au-

  1. Philosophie de Hamilton, p. 250-251.
  2. Id., p. 234.