Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
66
revue philosophique


III


De nombreuses analyses psychologiques ont montré combien la notion de substance est incompréhensible. Il en résulte que l’on ne saurait l’accepter, et il n’est pas difficile d’en conclure qu’elle ne saurait guère être utile. La substance une et simple devant servir à expliquer l’unité et la simplicité apparentes du moi, il faut voir comment elle pourrait l’expliquer. Il y a deux sortes d’explications, l’une métaphysique, l’autre positive. L’explication métaphysique consiste à supposer une entité quelconque ; c’est ainsi que l’homme sent parce qu’il a la faculté de sentir ; que l’opium fait dormir parce qu’il a une vertu dormitive. Cette explication est une manière de reproduire le fait en le donnant pour cause à lui-même. On ne connaît la puissance que par l’acte et on explique l’acte par la puissance. Ce genre d’explication a été si bien démontré faux et inutile qu’il n’y a plus à y revenir.

On explique encore un fait en montrant ses ressemblances avec un groupe de faits déjà. connus ; c’est ainsi qu’on explique la rotation de la terre en l’assimilant au fait de la pierre qui tombe, etc. Mais alors, à ce point de vue, qu’explique la substance ? Pour expliquer l’unité et l’identité du moi, il faudrait faire voir comment ces faits ressemblent à d’autres faits déjà connus, et c’est, je crois, ce qu’on peut faire ; mais ce n’est pas le faire que de les expliquer par une substance. Nous n’assimilons pas par là les phénomènes de l’unité et de l’identité du moi à d’autres faits ; nous ne les rattachons pas à une loi connue ; l’explication de l’unité et de l’identité du moi par une substance est donc simplement une explication métaphysique, c’est-à-dire qu’elle n’explique rien et qu’elle soulève des difficultés plus grandes que celles qu’elle prétend éclaircir. Sans doute, au premier abord, on est porté à croire qu’il n’en est pas ainsi ; mais en analysant l’idée de substance, l’idée d’unité, l’idée de simplicité, on voit la vanité du résultat qu’on obtient en faisant intervenir une substance. C’est une fausse analogie, sans rigueur et sans valeur, qui a pu faire naître cette hypothèse.

Je n’insiste pas là-dessus, car je n’ai jamais vu qu’on réfutât les objections, les arguments présentés contre la théorie de la substance. Je crois donc qu’on peut tenir comme démontré que, la formation de l’idée du moi ne pût-elle être expliquée, il vaudrait toujours mieux se refuser à croire à une substance.