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analyses. — h. marion. De la solidarité morale.

telle à laquelle tant de cultes ont condamné temporairement ou pour toujours l’esprit des hommes ? La question demande à être examinée, et non tranchée. Bentham et Grote ont aussi parlé de cette solidarité, et tout autrement. Au surplus, ce n’est pas à M. Marion de l’examiner : il sort de son sujet. On nous parle de solidarité ; nous voulons savoir en quoi elle consiste ; nous n’avons que faire de chercher si elle est utile ou nuisible ; c’est une autre question, qui viendra après, si l’on veut, mais qu’il ne faut pas mêler à la première. Et puis l’auteur dit à la fin qu’il ne faut être ni optimiste ni pessimiste, que le bien et le mal sont également possibles. À l’en croire ici, la solidarité, par sa vertu intrinsèque, comme loi de nature, a produit et a dû produire plus de bien que de mal. Comment concilier tout cela ? Pourquoi l’optimisme du passé ne vaut-il pas pour l’avenir ? Pourquoi, si l’avenir est contingent, donner à entendre que le passé ne l’a pas été ?

Mais nous touchons ici à ce qui est le fon me me de l’ouvrage, à ce qui en est le trait caractéristique. M. Marion est un moraliste, et son livre est un livre de morale. Il ne faut pas lui demander l’intrépidité du savant ou du métaphysicien qui va droit devant lui, qui ne voit les choses qu’avec ses yeux ou son esprit, et les dit telles qu’il les voit. M. Marion n’a pas ce froid désintéressement : c’est une idée, un sentiment moral et humanitaire qui l’inspire ; son livre est l’œuvre de son cœur autant que de son esprit. Il s’agit moins pour lui de trouver des vérités nouvelles que d’être utile, de travailler au bien de l’humanité ; comment donc s’étonner que, cherchant le bien partout, il l’ait vu parfois là où il n’est pas ? En réalité donc, il n’est jamais mieux dans son sujet qu’au moment ou il a l’air d’en sortir. Il faut prendre le livre tel qu’il est ; il n’a point d’ambition spéculative, ni de prétentions métaphysiques : même il est clair, et, voulant être utile, il est facile à lire ; il s’en tient uniquement à la psychologie et à la psychologie morale. Il a laissé de côté les formules abstraites et peu intelligibles où beaucoup de jeunes philosophes contemporains se sont, à ce qu’on dit, trop complus : il fait descendre la philosophie des nuages sur la terre ; après tant de spéculations, il est opportun, selon lui, de songer à la pratique et à l’action :

Il y a plusieurs sortes de philosophes. Les uns montent sans vertige aux sources les plus élevées de l’être et de la pensée. S’il leur arrive d’oublier le lecteur haletant qui les suit et de parler un langage peu accessible, c’est moins à eux qu’il faut s’en prendre qu’aux difficultés du sujet. Au surplus, on les trouve, chaque fois qu’on a le courage de s’attacher à leurs pas, si bons guides et si sûrs, qu’on peut, pour le reste, les croire sur parole, si l’on n’est pas résolu aux mêmes efforts ou capable des mêmes élans. D’autres aiment les formules nettes et tranchantes ; ils ont l’allure fière et décidée, la noble confiance de ceux qui se sentent assez maîtres de leur pensée pour l’imposer aux autres ; ils frappent fort, parce qu’ils se sentent sûrs de frapper juste, leurs conclusions sont des injonctions, et leurs sentences ont des