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CRITIQUE DE L’IDÉE DE SANCTION



L’humanité a presque toujours considéré la loi morale et sa sanction comme inséparables : aux yeux de la plupart des moralistes, le vice appelle rationnellement à sa suite la souffrance, la vertu constitue une sorte de droit au bonheur. Aussi l’idée de sanction a-t-elle paru jusqu’ici une des notions primitives et essentielles de toute morale. Selon les stoïciens et les kantiens, il est vrai, la sanction ne sert nullement à fonder la loi ; pour Kant cependant, elle en est le complément nécessaire : la pensée de tout être raisonnable unit à priori le malheur au vice, le bonheur à la vertu par un jugement synthétique. Telle est aux yeux de Kant la force et la légitimité de ce jugement que, si la société humaine se dissolvait de son plein gré, elle devrait d’abord, avant la dispersion de ses membres, exécuter le dernier criminel enfermé dans ses prisons : elle devrait liquider cette sorte de dette du châtiment qui retombe sur elle et retombera plus tard sur Dieu. Même certains moralistes déterministes, qui nient en somme le mérite et le démérite, semblent pourtant voir un légitime besoin intellectuel dans cette tendance de l’humanité à considérer tout acte comme suivi d’une sanction. Enfin des utilitaires, par exemple M. Sidgwick, semblent aussi admettre je ne sais quel lien mystique entre tel genre de conduite et tel état heureux ou malheureux de la sensibilité ; M. Sidgwick croit même pouvoir, au nom de l’utilitarisme, faire appel aux peines et aux récompenses de l’autre vie : la loi morale, sans une sanction définitive, lui semblerait aboutir à une « fondamentale contradiction ».

Comme l’idée de sanction est l’un des principes, de la morale humaine, elle se retrouve aussi au fond de toute religion — chrétienne, païenne ou bouddhiste. Il n’est pas une religion qui n’admette une providence, et la providence n’est qu’une sorte de justice distributive qui, après avoir agi incomplètement dans ce monde, prend sa revanche dans un autre : cette justice distributive, c’est ce que les moralistes entendent par la sanction. On peut dire que la religion consiste par essence en cette croyance, qu’il est une sanction méta-