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leçon pour le simple but de recevoir ensuite des dragées ne les mérite plus, au point de vue de la morale, précisément parce qu’il les a prises pour fin. La sanction doit donc se trouver tout à fait en dehors des régions de la finalité, à plus forte raison de l’utilité ; si elle avait, en tant que telle, d’une façon ou d’une autre, comme fin ou comme moyen, une influence pratique et utilitaire sur la volonté, elle se contredirait elle-même. Sa prétention est d’atteindre la volonté non en tant qu’elle agit selon un but, mais seulement en tant qu’elle est une cause. Nul artifice ne peut donc transformer le principe pratique de la justice sociale : « Attendez-vous à recevoir des hommes en proportion de ce que vous leur donnerez, » en ce principe métaphysique : « Si la cause mystérieuse qui agit en vous est bonne en elle-même et par elle-même, nous produirons un effet agréable sur votre sensibilité ; si elle est mauvaise, nous ferons souffrir votre sensibilité. » La première formule — proportionnalité des échanges — était rationnelle, parce qu’elle constituait un mobile pratique pour la volonté et portait sur l’avenir ; la seconde, qui ne contient aucun motif d’action et qui, par un effet rétroactif, porte sur le passé au lieu de modifier l’avenir, est pratiquement stérile et moralement vide. La notion de justice distributive n’a donc de valeur qu’en tant qu’elle exprime un idéal tout social, dont les lois économiques tendent d’elles-mêmes à produire la réalisation ; elle devient immorale si, en lui donnant un caractère absolu et métaphysique, on veut en faire le principe d’un châtiment ou d’une récompense.

Que la vertu ait pour elle le jugement moral de tous les êtres, et que le crime l’ait contre lui, rien de plus rationnel ; mais ce jugement ne peut sortir des limites du monde, moral pour se changer en la moindre action coercitive et afflictive. Jamais cette affirmation : — Vous êtes bon, vous êtes méchant, — ne pourra devenir celle-ci : Il faut vous faire jouir ou souffrir. Le coupable ne saurait avoir ce privilège de forcer l’homme de bien à lui faire du mal. Le vice comme la vertu ne sont donc responsables que devant eux-mêmes et tout au plus devant la conscience d’autrui ; après tout, le vice et la vertu ne sont que des formes que se donne la volonté, et par-dessus ces formes subsiste toujours la volonté même, dont la nature semble être d’aspirer au bonheur. Ce vœu éternel doit être satisfait chez tous. Les bêtes féroces humaines doivent être, dans l’absolu, traitées avec indulgence et pitié comme tous les autres êtres ; peu importe qu’on considère leur férocité comme fatale ou comme libre, elles sont toujours à plaindre moralement ; pourquoi voudrait-on qu’elles le devinssent physiquement ? On montrait à une petite fille une grande image coloriée représentant des martyrs ; dans l’arène,