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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/365

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

cessaire de s’entendre. Tout le monde admet la distinction intrinsèque du vrai et du faux, de ce qui est et de ce qui n’est pas : mais il s’agit de savoir comment nous distinguerons dans notre conscience ce qui est conforme à la réalité et ce qui n’y est pas conforme ; il s’agit de savoir, en particulier, si cette distinction est, comme on le prétend, impossible pour le déterminisme et possible pour l’indéterminisme. Nous allons voir ici les partisans du libre arbitre faire une nouvelle broderie sur le thème éternel du sophisme paresseux. Pour ne pas raisonner sur des abstractions vagues, qui

    se modifier pour se rapprocher si chacune d’elles était nécessaire ? Comment puis-je proposer à quelqu’un de changer d’avis, s’il est vrai que chacun de nous ne puisse penser que ce qu’il pense ? » — Remarquons en passant ce nouvel exemple du λόγος ἀγρὸς dont la philosophie ne parvient pas à se délivrer. C’est comme si l’on disait : À quoi bon rapprocher des yeux de quelqu’un un objet cubique qu’il prend de loin pour une sphère, s’il est vrai que chacun de nous ne puisse voir que ce qu’il voit ? * « Et, continue M. Secrétan, ce que nous disons de l’espèce et de la science objective, universelle, il faut le dire également de l’esprit individuel et des croyances personnelles… Quoi qu’il en soit du déterminisme pris en lui-même, la croyance au déterminisme intellectuel briserait évidemment le nerf de l’esprit. Les fatalistes du système ne sont point d’accord avec eux-mêmes, et ils le savent. Ils oublient leur philosophie et se dirigent suivant la doctrine opposée dans leur cabinet d’étude et dans la discussion savante, aussi bien que dans les affaires et dans la société. » (Revue philosophique, janvier 1882, p. 37.) Est-ce assez précis ? Quant à M. Delbœuf, on s’en souvient, il était encore plus clair : « Nie-t-on la liberté… il n’y a plus de vérité ni d’erreur, partant plus de science… Le fataliste est ainsi forcé de nier la science, en même temps qu’il nie la liberté… Si les anciens devaient fatalement juger la terre immobile, rien ne nous autorise à croire que, de leur temps, elle n’était pas immobile. » (Revue phil., nov. 1881, p. 519.) Nous sommes persuadé qu’aujourd’hui cet esprit si sincère et si progressif ne parlerait pas de la même manière. M. Victor Egger, dans son travail sur la certitude scientifique publié par les Annales de la Faculté de Bordeaux, dit à son tour en s’inspirant de M. Renouvier : « La pensée et le sentiment réunis facilitent l’œuvre de la liberté ; mais, sans la liberté, il n’est point de certitude scientifique. » (P. 9.) — M. Brochard dit dans sa thèse sur l’Erreur : « L’homme n’est capable de science que parce qu’il est libre ; c’est aussi parce qu’il est libre qu’il est sujet à l’erreur. » (P. 17.) Écoutons maintenant M. Renouvier lui-même et Jules Lequier : « La thèse de la nécessité, si elle est admise, interdit d’aspirer à la possession d’un critère de la certitude. » Il s’agit, semble-t-il, de la certitude en général. « En effet, si tout est nécessaire, les erreurs aussi » (on ne dit pas seulement les erreurs philosophiques) « sont nécessaires, inévitables et indiscernibles ; la distinction du vrai et du faux manque de fondement, puisque l’affirmation du faux est aussi nécessaire que celle du vrai. » (Essais, II, p. 367.) Cf. III, 302. S’il y a une « confusion, » est-elle à la charge des adversaires de M. Renouvier ou de ses partisans et de lui-même ? Le syllogisme par lequel M. Renouvier conclut dans sa réponse, et que nous examinerons plus loin, a une portée absolument générale, sans aucune distinction des diverses sortes de vérités. Ce syllogisme est d’ailleurs fort intéressant, et nous nous félicitons d’en avoir provoqué la formule.

    * Chez M. Penjon, leçon publiée par la Critique philosophique du 10 mars 1883. « Il n’y a rien à objecter à celui qui tient tout pour nécessaire : il vous dirait que vous ne pouvez pas ne pas lui adresser vos critiques et qu’il ne peut pas vous répliquer lui-même autrement qu’il ne fait, » M. Penjon met an compte des déterministes un paralogisme qui est tout entier de l’invention des indéterministes.