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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/48

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la rend réelle, la pensée garde l’unité, qui est sa loi constitutive. Mais, pour que tous les systèmes partiels s’accordent en un système total, « il faut l’accord réciproque de toutes les parties de la nature et cet accord ne peut résulter que de leur dépendance respective à l’égard du tout ; il faut donc que dans la nature l’idée du tout ait précédé et déterminé l’existence des parties ; il faut en un mot que le monde soit soumis à la loi des causes finales[1]. »

L’analyse réfléchie de la pensée nous conduit du mécanisme à la finalité ; concilier les deux termes nous est facile. Il suffit d’admettre que la direction du mouvement préexiste au mouvement lui-même. Le boulet qui sort du canon obéit dans sa marche à des lois nécessaires ; mais l’étude de ces lois n’explique qu’en apparence son parcours ; la vraie cause en est dans l’esprit de l’homme et dans le but qu’il veut atteindre.

Non seulement les deux lois se concilient, mais encore elles s’impliquent. Le mécanisme s’impose avec une nécessité brutale ; si la loi des causes finales en dérive logiquement, elle participe de son irrésistible évidence. Dans un système où tout se tient, les vérités sont solidaires, et c’est une même clarté qui se transmet et se propage de l’une à l’autre. Quand tout est réduit au mouvement, tout est possible, rien n’existe, ni le monde ni la pensée. Il faut s’enfermer dans la formule stérile des Eléates : « L’Être est, » ou rendre raison de la pluralité, du changement et du devenir. Or, dans un monde soumis au mécanisme, il n’y a que la finalité qui puisse faire la pensée réelle et la réalité intelligible, en accordant l’unité et la diversité dans l’idée d’harmonie, qui les comprend et les concilie. On peut donc dire que la finalité est une conséquences logique du mécanisme, que les eux lois s’impliquent, et que la nécessité inéluctable de la première se transmet à la seconde et la garantit.

Ne pouvons-nous aller plus loin, montrer que le mécanisme, loin d’être antérieur et supérieur à la finalité, lui est subordonné ? Avec le mécanisme il n’y a jamais d’explication définitive : le réel nous fuit, comme l’intelligible. En vertu même de la loi des causes efficientes, le phénomène auquel on arrive n’a pas moins besoin d’être expliqué par un phénomène antécédent que celui dont on part. On peut aller à l’infini ; on change l’inconnu, le problème varie, il n’est jamais résolu, il ne peut pas l’être, il est contradictoire qu’il le soit. Si toute explication doit partir d’un point fixe et d’une donnée qui s’explique elle-même, il est évident que la véritable explication des phénomènes ne peut être trouvée par cette marche sans fin vers un but qui recule

  1. Du fondement de l’induction, p. 88.