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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/483

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LA VIE ESTHÉTIQUE

ÉTUDE SUR L’ESTHÉTIQUE ALLEMANDE CONTEMPORAINE


Y a-t-il une vie esthétique, comme il y a une vie scientifique, une vie morale, politique, religieuse, économique ou industrielle, etc. ? Qui pourrait le nier, dira-t-on ? Ce serait oublier la part énorme que prend dans la vie humaine tout ce qui en fait l’agrément et le charme, tout ce qui est destiné non seulement à l’orner et l’embellir, mais à la récréer, à en faire supporter le poids et les misères ; ce serait méconnaître un des besoins les plus impérieux de notre nature, l’instinct du beau, ce penchant irrésistible, qui déjà s’éveille dans l’enfant, qui fait que le sauvage aime à se parer avant de se vêtir, qui, dans une société civilisée, se révèle sous tant de formes diverses, dont l’art, avec ses richesses et ses splendeurs, est la forme principale et la plus élevée. Sans doute, et il serait oiseux de s’y arrêter. Mais ce n’est pas précisément ce dont il s’agit. Car il est clair que si tout cela est considéré comme un simple superflu de la vie, comme une sorte de luxe, chose nécessaire, il est vrai, mais qui pourtant vient seulement s’ajouter à la satisfaction d’autres besoins véritablement nécessaires ou plus élevés, si le but n’est que de divertir l’homme ou de l’amuser, ou même de l’arracher aux soucis de la vie et de l’en distraire, ou encore de ne lui procurer que des jouissances plus délicates et plus raffinées, on en conviendra, la vie esthétique, quelque temps qu’elle prenne et quelques soins qu’elle absorbe dans la vie totale de l’individu et de l’humanité, perd singulièrement de sa valeur. Elle mérite, tout au plus, que l’on dise d’elle ce qu’Aristote dit de l’amusement en général ou du jeu, qu’il est nécessaire, comme le sommeil ou le repos après le travail et la fatigue de la vie active. Ce n’est plus, en tout cas, qu’un appendice, on peut ajouter même une sorte de négation, à côté de la vie sérieuse, seule réelle et positive. Celle-ci, la véritable vie, la vie humaine proprement dite, est consacrée, sauf les moments de relâche, à la poursuite des fins sérieuses, à la recherche du vrai, à la pratique du bien,