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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/525

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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

première proposition, il y ajoute : au lieu d’une analyse qu’il veut faire, c’est une synthèse qu’il exprime, car Je pense n’est que la constatation d’un état phénoménal. S’il veut éviter le paralogisme, il retombe dans la tautologie primitive.

Ainsi, si le Cogito, ergo sum est un enthymème, la révolution cartésienne est un trompe-l’œil ; s’il n’en est pas un, ou la deuxième proposition contient l’affirmation d’une substance, et alors le paralogisme est évident ; ou cette seconde proposition se contente d’affirmer l’existence phénoménale, et le Cogito, ergo sum se réduit au piétinement sur place d’une tautologie misérable. C’est ainsi que raisonnent tour à tour les adversaires de Descartes.

Gassendi, dans ses Instances, reproche à Descartes d’avoir fait un enthymème, s’il n’a pas fait une tautologie ; mais comme Gassendi croit que le Je pense, donc je suis, est bien l’expression d’une vérité, il incline à croire que l’énonciation cartésienne est un véritable raisonnement : « Je pense, donc je suis, est un enthymème qui suppose ce principe : Ce qui pense existe, c’est-à-dire un préjugé antérieur à ce que vous regardez comme le premier des jugements : Je pense, à ce point fixe d’Archimède qui devait porter tout le reste. Je ne veux par là que montrer le faux raisonnement dont vous vous êtes servi pour prouver une chose qui n’avait pas besoin de preuve… Cet axiome : Tout ce qui pense existe, ne dérive pas de votre enthymème, puisque votre enthymème en dérive[1]. »

Descartes répond : « En disant : Je pense, donc je suis, l’auteur des Instances veut que je suppose cette majeure : Celui qui pense est ; et ainsi que j’aie déjà épousé un préjugé. En quoi il abuse derechef du mot de préjugé : car, bien qu’on en puisse donner le nom à cette proposition lorsqu’on la profère sans attention, et qu’on croit seule qu’elle est vraie à cause qu’on se souvient de l’avoir ainsi jugé auparavant, on ne peut pas dire toutefois qu’elle soit un préjugé lorsqu’on l’examine, à cause qu’elle paraît si évidente à l’entendement qu’il ne se saurait empêcher de la croire, encore que ce soit peut-être la première fois de sa vie qu’il y pense, et que par conséquent il n’en ait aucun préjugé[2]. »

Huet, dans sa Censure de lu philosophie de Descartes, soutient encore que le Cogito, ergo sum est un enthymème, et tous les philosophes de la Société de Jésus le soutinrent avec lui. De nos jours, la célèbre compagnie semble avoir changé d’avis. « Il faut remarquer

  1. Dubitutio prima, Instantiœ, nos  6 et 7. — Nous nous servons du résumé en français donné par Garnier dans son édition des Œuvres philosophiques de Descartes, t.  II, p. 509.
  2. Lettre à Clerselier, no 6, t.  I, p. 331.