Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
523
fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

cipe, et Descartes lui-même l’a fait ; mais on ne peut lui donner le titre d’axiome, et Descartes ne l’eût pas permis[1].

M. Liard, dans son récent-et si remarquable ouvrage sur Descartes, conclut que « le Cogito, ergo sum est une proposition, ou, si l’on aime mieux, la double expression nécessaire d’un même fait. Tout état défini de conscience implique l’existence du moi ; et, réciproquement, l’existence du moi implique un état défini de conscience. Nous le voyons par une simple inspection de l’esprit[2]. »

Et, un peu avant, M. Liard a rapporté et a fait sienne cette explication de Descartes que « cette proposition (Tout ce qui pense est ou existe), au lieu d’être antérieure à la connaissance qu’il a de lui-même, lui est « enseignée de ce qu’il sent en lui-même, qu’il ne se « peut pas faire qu’il pense, s’il n’existe. » — « Car, ajoute-t-il, c’est le « propre de notre esprit de former les propositions générales de la connaissance des particulières[3]. »

Nous avons certainement fait un pas. Il n’est plus question ici seulement d’une proposition, mais de la « double expression nécessaire d’un même fait ». C’est bien cela, un seul fait, la pensée, la conscience d’un acte quelconque de l’esprit ou du corps[4] ; l’existence liée à la pensée ne fait qu’un avec elle, et cette liaison apparaît comme une nécessité ; c’est la nécessité de cette liaison qu’exprime la conjonction donc, c’est aussi cette même nécessité qui donne au Cogito, ergo sum son apparence déductive.

M. Liard a certainement pénétré plus avant que personne dans l’intelligence du Cogito. Il est seulement à regretter que, poussé par le mouvement de l’exposition, il n’ait pu s’attarder à nous montrer comment son opinion pouvait se concilier avec le passage des Principes déjà cité, et qui reste inexpliqué : « Je n’ai pas-pour cela nié qu’il ne fallût savoir auparavant que pour penser il faut être. » Nous essayerons à la fin de cette étude de lever cette dernière difficulté.

  1. Il est à remarquer en effet que Descartes ne s’est jamais servi de ce mot et que, dans les Réponses aux IIe objections, lorsqu’il tente de démontrer more geometrico existence de Dieu et la distinction de l’âme et du corps, il ne met nullement le Cogito, ergo sum au nombre des axiomes. — En ce même endroit, il donne au contraire pour synonyme au mot axiome l’expression notions communes ; or, dans une lettre à Clerselier (t.  IV, p. 156), il oppose formellement les notions communes aux êtres, le principe général : impossibile est idem simul esse ac non esæ au principe singulier : notre dame existe.
  2. Descartes, l. III, ch.  2, p. 159.
  3. Ibid., p. 157.
  4. « Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous, de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir est la même chose ici que penser. » (Principes, Ire partie, no 9, t.  I, p. 231.) — Cf. IIe Méditation, no 7, t.  I, p. 104 ; Lettres, t.  IV, p. 169.