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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/60

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plus profondes et les agents plus cachés qui opèrent sous les faits et les acteurs superficiels. — Dirons-nous, par exemple, que le nombre des adultères poursuivis étant devenu neuf fois plus fort de 1826 à 1880, et celui des adultères dénoncés ayant progressé plus vite encore, tous les maris français auraient intérêt à être légitimistes ? Le sujet, par malheur ne comporte pas tant de gaîté.

I

Un grand contraste s’offre d’abord à nous : Dans le laps de temps considéré, les crimes proprement dits ont diminué de près de moitié, et les simples délits (abstraction faite des contraventions) ont plus que triplé. Comment expliquer cela ? On va dire que c’est un effet de l’instruction croissante et de l’adoucissement des mœurs, ou simplement un signe de notre nivellement social, qui, entre autres égalisations, atténue la distance entre les scélérats et les honnêtes gens. Il en serait donc de la criminalité dans son ensemble comme des Alpes ou des Pyrénées, dont les faîtes, paraît-il, vont s’abaissant au cours des âges à mesure que, par leurs débris sucessifs, le sol s’exhausse à leurs pieds, en sorte que ces monts gagnent en étendue ce qu’ils perdent en hauteur ; ou bien dirons-nous avec une ingénieux auteur que la criminalité ressemble en cela à l’animalité, dont les degrés inférieurs se signalent par une force de reproduction supérieure ? Le malheur est, pour ces explications et toutes autres possibles, que le contraste indiqué (j’en demande pardon à l’ancien garde des sceaux), est purement apparent. En premier lieu, comme M. Humbert le reconnaît lui-même, la diminution du nombre des criminels s’explique en très grande partie par la louable habitude, généralisée chaque jour davantage dans les parquets, de correctionnaliser les crimes peu graves, en négligeant volontairement de relever certaines circonstances, telles que l’effraction ou l’escalade, qui accompagnent des vols de faible importance. La loi du 13 mai 1863 a consacré cette pratique dans nombre d’affaires. Transformés de la sorte en affaires correctionnelles, les faits criminels sont frappés plus sûrement de peines moindres, et d’ailleurs, si l’inculpé préfère le jury au tribunal, il lui est toujours loisible de décliner la compétence de celui-ci, qui ne peut ne pas la prononcer. La preuve que la correctionnalisation, soit illégale, soit légale, a réellement contribué à l’abaissement de la courbe des crimes, c’est que cette