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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/613

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FOUILLÉE. — le libre arbitre

par le remuer autant de fois à droite qu’à gauche, ce n’est pas parce qu’il n’y a point de raisons, c’est au contraire parce qu’il y a juste autant de raisons nécessaires pour que le courant oscille tantôt à droite et tantôt à gauche, de manière à montrer ainsi sur les grands nombres et les moyennes la régularité mécanique (et non libre) d’un pendule ou d’une balance. Le balancement n’est pas l’absence de loi, c’est une Loi rythmique aussi déterminée que le retour périodique de la terre au même point de son orbite. Est-ce que le rapport — n’est pas un rapport déterminé ? De quel droit en fait-on l’expression de l’indéterminisme[1]?

Oui sans doute, « le tout, dans cette affaire, est de comprendre n’importe comment la neutralisation des causes qui n’entrent pas dans le calcul du probable ; il ne faut rien de plus au mathématicien, et il n’a le droit de rien demander au delà[2]. » Mais précisément le libre arbitre sans loi empêche de comprendre la loi de neutralisation des causes, et le mathématicien a le droit d’affirmer, ou que le libre arbitre n’existe pas, ou qu’il est comme s’il n’était pas quand il s’agit de loteries, de grands nombres et de moyennes. Loin de dire que « tout se passe comme s’il y avait réelle liberté », il faut dire : « Tout se passe comme s’il n’y avait aucune liberté. »

III

la contingence des futurs et sa prétendue conciliation avec les lois de la statistique

Dans la statistique, nous n’avons plus affaire à des possibilités

  1. On insiste et on dit : « L’égalité est, sinon la loi des faits supposés libres, au moins celle de notre attente devant les actes libres. » — Parler ainsi, c’est revenir à l’erreur de Laplace, qui confond l’attente dans l’ignorance avec l’attente fondée sur l’égalité connue des chances ; la loi de notre attente, devant des actes de libre arbitre, n’est pas 1/2 ; elle est . Si, en fait, notre attente est 1/2, c’est précisément parce que nous éliminons toute hypothèse de liberté subjective pour considérer seulement les rapports objectifs des chances, qui nous apparaissent dans ce cas aboutir à un rapport nécessaire d’égalité. Ce rapport d’égalité, loin de se fonder sur la présence de la liberté, se fonde au contraire sur son absence. S’il y avait réellement libre arbitre, il y aurait un point, ne fût-ce qu’un seul, un point absolument indéterminé, sans loi, qui suffirait à contrebalancer toutes les autres lois, à les frapper d’inexactitude, et qui en particulier permettrait, toutes choses étant égales d’ailleurs, de produire cependant des effets non égaux en nombre, par exemple des mouvements à gauche plus nombreux que les mouvements à droite, en dépit de l’équilibre des muscles et de l’équilibre des courants cérébraux.
  2. M. Renouvier, Ibid., p. 35.