Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/117

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
107
société de psychologie physiologique

reconnaîtrait ainsi si la faculté de recevoir la suggestion mentale n’est pas diminuée.

Tant que cette question n’aura pas été tranchée, on ne peut évidemment faire que des conjectures sur la suggestion à distance, mais il reste toujours permis de croire que la parole intérieure y joue un rôle considérable.

Avant de réveiller le sujet hypnotisé et de le quitter, je me pose mentalement et consciemment la question : L’endormirai-je demain à distance ? Je me réponds par exemple : Oui ? La parole intérieure, par suite du mécanisme de l’association d’idées, pose immédiatement la question : à quelle heure ? La réponse à cette question, je ne veux pas la faire, je veux me laisser complètement libre, je détourne mon attention. Mais la parole intérieure n’en fera pas moins cette réponse, et d’après la loi que j’ai indiquée, elle la fera d’autant plus haut, quoique inconsciemment pour moi, que je ne veux pas l’entendre, que mon attention est plus détournée, que l’inhibition intellectuelle est plus forte. La parole intérieure répondra donc, par exemple : quatre heures.

Supposons maintenant que le sujet ait entendu ce dialogue muet, il s’endormira le lendemain à quatre heures, par suggestion mentale simple. Et moi, de mon côté, j’aurai inconsciemment subi la suggestion de ma parole intérieure, et quand je verrai quatre heures à l’horloge, je choisirai naturellement ce moment comme celui de mon expérience. Dès lors, je la compterai comme réussie et cela de la meilleure foi du monde.

La conclusion à tirer de cette explication conjecturale est évidemment que, pour prouver que la suggestion à distance constitue un phénomène irréductible aux autres connus, il faudrait que le choix des heures d’expériences fût toujours laissé à une personne qui s’abstienne rigoureusement de tout rapport avec le sujet. Ou bien, il faudrait dresser le sujet à se réveiller par suggestion mentale, d’abord en présence, ensuite à distance.

L’expérimentateur pourrait alors étudier par lui-même combien de temps dure son pouvoir, prétendu ou vrai, alors qu’il s’abstient de revenir en présence du sujet.

Tant que l’une ou l’autre de ces conditions ne seront pas remplies, les expériences sur la suggestion mentale à distance ne me paraissent guère pouvoir faire progresser la question. J’ajouterai qu’avant de déclarer le phénomène irréductible, il faudra, même avec ces conditions, avoir un nombre de faits décisifs suffisant pour écarter l’éventualité du hasard, que l’on est, en général, trop porté à négliger.

Paul Tannery.