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F. BOUILLIERce que deviennent les idées

elles signifient toutes également, d’une façon plus ou moins vive et pittoresque, la croyance commune que l’esprit ne perd pas les idées disparues, qu’il les garde, d’une façon ou d’autre, comme en un dépôt d’où la mémoire, à ses heures, les fait sortir, tantôt les unes, tantôt les autres. Retenir d’ailleurs n’est-il pas synonyme de souvenir dans la langue de tous ? Retenir une idée ne veut-il pas dire la garder ?

Ce n’est pas seulement quelques idées, ou un certain nombre d’idées qui, après leur disparition, et bien qu’en quelque sorte évanouies, demeurent dans l’esprit ; nous inclinons à croire que toutes, sans exception, y demeurent plus ou moins profondément gravées, tant celles qui doivent tôt ou tard réapparaître que celles qui ne reviendront peut-être jamais. Nous ne faisons ici qu’appliquer à la psychologie un des grands principes de la physique moderne, à savoir que rien ne se perd des forces cosmiques dans le monde entier, que rien, si peu que ce soit, atome ou molécule, ne retourne à rien, à travers la variété infinie des éléments, des êtres, des phénomènes dont il se compose, à travers toutes leurs compositions, transformations, décompositions et métamorphoses. Si rien ne se perd dans cette variété infinie, comment à plus forte raison supposer que quelque chose se perde dans ce sujet un, indivisible, essentiellement actif qui est notre esprit ? Là aussi ne doit-il pas y avoir conservation d’énergie, c’est-à-dire de tous les phénomènes par lesquels cette énergie se manifeste et s’est manifestée, et hors desquels elle ne peut se concevoir ? En faveur de cette doctrine que rien ne périt dans l’âme, même ce que la mémoire ne reproduira peut-être jamais, citons d’abord Leibniz. « Je crois, a dit Leibniz, que ce qui est une fois arrivé à l’âme lui est éternellement imprimé, quoique cela ne revienne pas toujours à la mémoire. »

Le philosophe écossais Hamilton est partisan, comme Leibniz, de l’indestructibilité des idées. Il fait dériver ce qu’il appelle la rétention des idées de la nature même de l’esprit, sans qu’il soit besoin du secours d’aucune autre faculté. La conservation de l’action de l’esprit est, dit-il, enveloppée dans la conception même de son activité propre et essentielle. Cette activité intervient dans toute connaissance ; or elle persiste, après avoir été une fois déterminée, d’autant qu’elle est l’énergie d’un sujet un et indivisible. Il faudrait, dit-il, qu’une partie du moi fût détachée et annihilée pour qu’une connaissance une fois acquise pût être détachée et annihilée[1]. Le difficile n’est pas de comprendre comment l’activité mentale dure, mais com-

  1. Metaphysics, lect. 30.