Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
F. BOUILLIERce que deviennent les idées

sur la mémoire : « L’association des idées dépend uniquement du pouvoir de contracter des habitudes. La mémoire n’est donc qu’une habitude. » Si l’association dépend de l’habitude, ce n’est pas à dire qu’il en soit de même des idées associées.

C’est aussi par l’habitude que M. Lemoine tend à expliquer la réminiscence. « Nos idées d’hier sont, dit-il, bien réellement passées et s’il est une puissance capable de les faire revivre, il n’en est aucune qui les conserve. Le temps abolit les idées comme tous les autres phénomènes. Mais une chose demeure, l’esprit lui-même et l’habitude qu’il a acquise. C’est assez pour expliquer la réminiscence ; l’habitude ne conserve pas les idées passées ; mais elle a le pouvoir de les répéter. » Il nous semble qu’il serait plus exact de dire que l’habitude facilite cette répétition, les idées étant d’ailleurs données et en conséquence conservées. La mémoire ramenée à l’habitude, tel est le titre d’un des chapitres de l’ouvrage de M. Ribot sur l’hérédité ; mais, en réalité, il ne l’y ramène pas, il se borne à les rapprocher l’une de l’autre sans les confondre. Il ne dit pas que la mémoire est une habitude, mais seulement un commencement d’habitude. D’ailleurs, en s’appuyant sur la loi de l’indestructibilité de la force, il admet comme nous l’indestructibilité de nos perceptions et de nos idées, par où il n’entend pas que les perceptions continuent à exister dans la conscience, mais qu’elles continuent à exister dans l’esprit, en ce sens qu’elles peuvent être ramenées à l’esprit et qu’elles laissent quelque chose après elles dans notre constitution physique et morale. Ce quelque chose, M. Ribot l’appelle résidu ou tendance à se reproduire. Ces résidus indestructibles, qui persistent non seulement dans le cerveau, mais dans l’esprit, ne sont pas sans ressemblance avec les idées latentes.

Nous mentionnerons aussi l’opinion de deux auteurs, M. Charles et M. Rabier, dont les traités de philosophie élémentaire ont de l’autorité non seulement dans l’enseignement, mais dans la science. Tous deux inclinent à ne voir dans la mémoire qu’une habitude. Ce qui est passé ne peut être perdu, selon M. Charles, pour une force intelligente. L’esprit n’est pas semblable au tonneau des Danaïdes. Qu’est-ce donc qui reste et ne s’écoule pas ? Rien de plus qu’une certaine disposition à reproduire ce qui est passé, d’où M. Charles conclut que la mémoire est une espèce d’habitude.

Tel est aussi le sentiment de M. Rabier, mais toutefois avec une différence essentielle. La mémoire n’est en effet, suivant lui, qu’une habitude, mais une habitude physiologique et non psychologique. On vient de voir qu’en général la plupart des psychologues que nous venons de citer, tout en rapprochant plus ou moins l’habitude de la