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néral au particulier. Les concepts ici et là, moi et toi, etc., n’ont aucun sens, pris objectivement. La racine subjective a même valeur que l’objective, et la naissance du langage s’explique par l’action des deux. « Toutes choses, conclut l’auteur, devaient être divinisées, pour que le prédicat devint sujet, pour que l’actif, l’interne, le moi mystérieux trouvât une expression dans le langage. C’est la clef de toute mythologie, et l’on voit maintenant la pauvreté de ce rationalisme du xviiie siècle, auquel Spencer a donné un renouveau inattendu en croyant que les personnes humaines et leurs destinées forment le fonds de tous les mythes, évhémérisme sans âme qui renie toute poésie et ferme la source de tout développement de la pensée. »

Nous avons à présent l’essentiel de la doctrine de M. Noiré. Je laisse aux lecteurs spéciaux le soin de critiquer dans l’ouvrage même le rangement des parties du discours sous les catégories kantiennes, sous les concepts-souches. Ce chapitre des « fonctions logiques dans le langage › est très considérable. On lira encore avec beaucoup d’intérêt celui qui traite de la vie métaphorique du langage ». La métaphore, dit en substance M. Noiré, transporte un concept d’un objet à l’autre selon le fil de l’intuition et de la causalité ; la symbolique se sert de l’extérieur pour exprimer l’intérieur ; la mythologie ou allégorie spiritualise l’extérieur, le fait sujet. Cette création du sujet marque le dernier pas dans la voie du langage, et ce pas coïncidait, on le voit, avec la religion. « Grâce à la métaphysique mythologique, l’homme put se nommer et nommer son semblable comme être actif et libre. De l’action personnelle sortirent les divinités, qui agissaient parce qu’on croyait à elles, à qui l’on croyait parce qu’on les nommait, et que l’on nommait enfin parce qu’on les sentait. »

M. Noiré examine ensuite le rôle des contrastes d’espace et de temps (limitation) dans la formation des concepts ; il accorde un dernier chapitre au contraste spécial de la sensibilité et de la pensée et termine l’ouvrage par un résumé.

Lucien Arréat.

Konrad Burger. Ein Beitrag zur Beurteilung Condillacs. Altenburg, 1885.

Buckle trouve à Condillac de la finesse et de l’exactitude ; Hettner au contraire affirme que sa pensée fondamentale est aussi difficile à suivre (folgenschwer) que le développement en est arbitraire et incomplet. M. K. Burger se propose de contribuer à préparer un jugement moins contradictoire sur un philosophe que le plus grand nombre ignore, que les lettrés eux-mêmes apprécient de façons très diverses, il prend surtout ses indications dans le Traité des Sensations, qu’il appelle, avec Cousin, le chef-d’œuvre de Condillac ; il donne quelques renseignements sur sa vie et ses ouvrages, établit d’abord quels sont les