Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
239
GAROFALO.l’anomalie du criminel

lique d’Aléi, un Tartare du Daghestan, qui avait été condamné pour avoir pris part à un acte de brigandage, mais voilà en quelles circonstances : « Dans son pays, son frère aîné lui avait ordonné un jour de prendre son yatagan, de monter à cheval et de le suivre. Le respect des montagnards pour leurs aînés est si grand, que le jeune Aléi n’osa pas demander le but de l’expédition : il n’en eut peut-être même pas l’idée. Ses frères ne jugèrent pas non plus nécessaire de le lui dire. » Évidemment, il s’agit d’un criminel malgré lui. Quo d’étonnant qu’il eût une belle âme comme un beau physique ? Dostojewsky l’appelle un « être d’exception », — une de ces « natures si spontanément belles et douées par Dieu de si grandes qualités que l’idée de les voir se pervertir semble absurde ».

Il y a enfin le portrait d’un homme très honnête, serviable, exact, peu intelligent, raisonneur et minutieux comme un Allemand : Akim Akimytch. L’auteur nous le présente comme un original, excessivement naïf ; dans ses querelles avec les forçats, il leur reprochait d’être des voleurs, et les exhortait sincèrement à ne plus dérober… Il lui suffisait de remarquer une injustice pour qu’il se mêlât d’une affaire qui ne le regardait pas. »

Eh bien, ce n’était pas non plus un criminel. « Il avait servi en qualité de sous-lieutenant au Caucase. Je me liai avec lui dès le premier jour, et il me raconta aussitôt son affaire. Il avait commencé par être junker (volontaire avec le grade de sous-officier) dans un régiment de ligne. Après avoir attendu longtemps sa nomination de sous-lieutenant, il la reçut enfin et fut envoyé dans les montagnes commander un fortin. Un petit prince tributaire du voisinage mit le feu à cette forteresse et tenta une attaque nocturne qui n’eut aucun succès. Akim Akimytch usa de finesse à son égard, et fit mine d’ignorer qu’il fût l’auteur de l’attaque : on l’attribua à des insurgés qui rôdaient dans la montagne. Au bout d’un mois il invita amicalement le prince à venir lui faire visite. Celui-ci arriva à cheval sans se douter de rien ; Akim Akimytch rangea sa garnison en bataille et découvrit devant les soldats la félonie et la trahison de son visiteur ; il lui reprocha sa conduite, lui prouva qu’incendier un fort était un crime honteux, lui expliqua minutieusement les devoirs d’un tributaire ; puis, en guise de conclusion à cette harangue, il fit fusiller le prince ; il informa aussitôt ses supérieurs de cette exécution, avec tous les détails nécessaires. On instruisit le procès d’Akim Akimytch ; il passa en conseil de guerre et fut condamné à mort ; on commua sa peine ; on l’envoya en Sibérie, comme forçat de la deuxième catégorie, c’est-à-dire condamné à douze ans de forteresse. Il reconnaissait volontiers qu’il avait agi illégalement, que le prince